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Un lieu ensorcelГ©
Sophie Love


Curieuse Librairie Polar Cozy #1
«Une romance ou une lecture de plage parfaite, avec une différence : son enthousiasme et ses belles descriptions procurent une attention inattendue à la complexité des développements non seulement de l’amour, mais aussi des psychologies. À recommander chaleureusement aux lectrices de romans d’amour qui apprécient une touche de complexité dans leurs lectures favorites.». –Midwest Book Review (pour Maintenant et À Tout Jamais). UN LIEU ENSORCELÉ : L’EXEMPLAIRE FATAL est la première histoire d’une charmante nouvelle série de cosy mystery par Sophie Love, l’auteure à succès de la série L’Hôtel de Sunset Harbor, un best-seller avec plus de 200 avis 5 étoiles… Quand Alexis Blair, 29 ans, est licenciée de son emploi d’éditrice et qu’elle rompt avec son petit ami le même jour, elle se demande si la vie ne l’inciterait pas à prendre un nouveau départ. Elle décide qu’il est temps de réaliser son rêve de toujours : ouvrir sa propre librairie – même si cela implique de quitter Boston et d’accepter un emploi dans une curieuse librairie d'une petite ville côtière à une heure de route… Mais Alexis découvre bien vite que cette étrange boutique ne vend pas que des livres rares et occultes. Il se passe des choses bizarres dans l’arrière-boutique secrète, avec son propriétaire excentrique, et dans la petite ville elle-même… Et lorsqu'un cadavre apparaît, Alexis, avec son nouveau chat adoré, risque de se retrouver mêlée à tout cela… Cosy mystery captivant, plein de surnaturel, de mystères, de secrets et d’amour, centré sur une petite ville aussi bizarre et attachante que sa boutique – UNE CURIEUSE LIBRAIRIE vous prendra par les sentiments et vous fera tourner les pages (et rire aux éclats) jusque tard dans la nuit… «La romance est bien là, mais sans excès. Félicitations à l’auteure pour ce début étonnant d’une série qui promet d’être très divertissante.». –Books and Movies Reviews (pour Maintenant et À Tout Jamais). Les livres 2 et 3 de la série – MEURTRE PAR MANUSCRIT et UNE PAGE PÉRILLEUSE – sont également disponibles!





Sophie Love

UN LIEU ENSORCELÉ: L’EXEMPLAIRE FATAL




UN LIEU ENSORCELÉ :




L’EXEMPLAIRE FATAL




(CURIEUSE LIBRAIRIE POLAR COZY – TOME 1)




S O P H I EВ В  L O V E



Sophie Love

Auteur de best-sellers, Sophie Love a écrit : L’HÔTEL DE SUNSET HARBOR, comédie romantique composée de huit tomes ; LES CHRONIQUES DE L’AMOUR, comédie romantique composée de cinq tomes ; SPECTRAL ET CANIN polar cosy composé (pour l’instant) de trois tomes ; et du nouveau polar cosy CURIEUSE LIBRAIRIE composé (pour l’instant) de trois tomes.



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LIVRES PAR SOPHIE LOVE




CURIEUSE LIBRAIRIE POLAR COZY

UN LIEU ENSORCELÉ: L’EXEMPLAIRE FATAL (Tome 1)


UN POLAR COSY SPECTRAL ET CANIN

LES TERRES FANTÔMES : MEURTRE ET PETIT-DÉJEUNER (Tome 1)

LES TERRES FANTГ”MESВ : MORT ET COLLATION (Tome 2)

LES TERRES FANTÔMES : MALICE ET DÉJEUNER (Tome 3)


L’HÔTEL DE SUNSET HARBOR

MAINTENANT ET ГЂ TOUT JAMAIS (Tome 1)

POUR TOUJOURS ET ГЂ JAMAIS (TOME 2)

ГЂ TOUT JAMAIS, AVEC TOI (Tome 3)

SI SEULEMENT C’ÉTAIT POUR TOUJOURS (Tome 4)

POUR L’ÉTERNITÉ, ET UN JOUR (Tome 5)

POUR L’ÉTERNITÉ, PLUS UN (Tome 6)

POUR TOI, POUR TOUJOURS (Tome 7)

NOГ‹L POUR TOUJOURS (Tome 8)


LES CHRONIQUES DE L’AMOUR

L’AMOUR COMME CI (Tome 1)

L’AMOUR COMME ÇA (Tome 2)

UN AMOUR COMME LE NOTRE (Tome 3)




CHAPITRE PREMIER


Lex déchira la boîte avec excitation, allant jusqu’à arracher le carton dans sa hâte de découvrir son contenu. Les épreuves qu’elle attendait étaient rangées en deux colonnes, les couvertures parfaitement alignées. Elle en sortit une et l’admira, la faisant tourner pour que la jaquette reflète la lumière. Fantastique. Recevoir de nouveaux livres était toujours un moment spécial : l’odeur des pages, le déballage, l’admiration de la couverture en version imprimée.

Cela ramenait toujours Lex à son enfance, lorsque la librairie de son père recevait des caisses de nouveaux livres à vendre. Elle était toujours impatiente de l’aider et elle les sortait du carton pour courir les mettre sur les étagères avant de rester là, à les admirer un moment. Lex avait toujours pensé qu’un jour, elle suivrait ses traces.

Mais ces livres, pensa-t-elle, avaient un autre destin. Lex revint à la réalité, ouvrant la couverture de l’ouvrage et scrutant l’intérieur. Elle cherchait des erreurs d’impression, des coquilles, des erreurs d’alignement. Tout ce qui pourrait nuire à la crédibilité d’un livre sérieux.

Et ce livre était sérieux, même très sérieux. C’était une analyse approfondie des découvertes d’un professeur de physiologie cellulaire et moléculaire de l’université de Yale qui avait passé les deux dernières décennies de sa carrière à un poste de chercheur. Un auteur spécialisé dans les livres documentaires s’était occupé de retranscrire ce sujet particulièrement pointu. Puis, Lex en tant qu’éditrice l’avait parcouru minutieusement pour le compte de la maison d’édition qui l’employait. Le rendre compréhensible pour le scientifique de base avait été un vrai défi, mais c’était une année de travail qui touchait enfin à sa conclusion.

Lex le posa au sommet d’une pile d’épreuves, d’options de couverture et de manuscrits reliés sur son bureau, prête à s’y plonger complètement. Elle parcourut les pages, laissant le doux parfum du livre neuf lui envelopper le visage et s’arrêta pour caresser affectueusement l’une des illustrations. La fin de ce projet était un sentiment doux-amer. De tous les manuscrits dont elle s’était occupée, celui-ci avait été le plus compliqué et le plus satisfaisant à terminer.

Malgré elle, ses pensées s’égarèrent de nouveau vers son père. Un souvenir lui vint à l’esprit tandis qu’elle observait les livres qui étaient restés dans le carton. Le parfum de leurs pages fraîchement reliées la ramena en arrière, bien avant qu’il ne disparaisse de sa vie. Déballer une nouvelle caisse de livres avec lui avait toujours été un moment spécial.

Lex se retourna au son de la voix de son pГЁre qui rГ©sonnait parmi les Г©tagГЁres.

– Où es-tu ma puce ? demanda-t-il.

– Science-fiction et Fantaisie, répondit Lex, en lui donnant le nom de la section où elle se trouvait.

Le magasin n’était pas très grand, tout juste assez pour que chaque genre de livre ait son espace, mais les étagères étaient tellement collées qu’il était impossible de voir quiconque à travers.

Son pГЁre apparut, grand et barbu, les yeux pГ©tillants. Ses cheveux Г©taient foncГ©s presque noirs, comme ceux dont Lex avait hГ©ritГ©. Il ouvrit ses bras avec un sourire.

–  Ah, voilà ma fée des livres, dit-il. Viens. La nouvelle livraison est arrivée.

– Alexis Blair, tu es en retard !

Lex faillit tomber de sa chaise, lâchant l’épreuve sur le bureau avec fracas. Plusieurs stylos dérangés par l’impact tombèrent au sol, roulant sous son bureau. Elle leva les yeux et vit un autre éditeur devant elle, son corps à moitié caché par la porte. Il y avait à peine assez de place pour que celle-ci s’ouvre entièrement sans taper son bureau dans l’espace confiné, et elle la laissait souvent entrouverte pour laisser entrer de l’air. C’était le plus petit bureau de tout le bâtiment, même le placard à balais était un chouilla plus grand.

– Mon Dieu, murmura-t-elle, elle rougit en regardant sa montre. Désolé ! Je viens de recevoir les épreuves de L’Endocrine Déchiffrée. Je n’ai pas vu le temps passer.

Lex se faufila le long de son bureau qui Г©tait bien trop prГЁs des Г©tagГЁres situГ©es de chaque cГґtГ© de la piГЁce et suivit son collГЁgue dans le couloir.

– Toi et tes livres de sciences, rit-il.

Matt Lang s’occupait du département fiction pour l’antenne des éditions Enlivrez-vous à Boston. Spécialisé dans la littérature Jeunes Adultes, c’était l’un des éditeurs les plus populaires du bâtiment. Même s’il y en avait beaucoup d’autres qui avaient le même poste, il avait réussi à gravir les échelons en quelques années. La rumeur courait qu’il allait remplacer l’une des éditrices seniors lorsque celle-ci prendrait sa retraite, ce qui n’allait pas tarder.

C’était parfaitement injuste, puisqu’il n’avait que vingt-cinq ans. Lex avait sept ans de plus que lui et sa carrière n’avançait pas aussi vite.

– C’est plus fort que moi.

Lex sourit, elle ne pouvait s’en empêcher malgré la jalousie. Matt était tellement charismatique.

– Je suis tellement heureuse lorsqu’il s’agit d’un sujet que j’affectionne vraiment.

– Tu as fait des études de sciences, non ? lança Matt, par-dessus son épaule.

Ils s’éloignaient des bureaux du sous-sol pour remonter vers le premier étage qui était lui aéré et spacieux.

– Dans quel domaine déjà ?

– J’ai fait un double master, chimie et histoire du monde, lui rappela-t-elle.

Non pas que ce soit important, il aurait sûrement oublié dans quelques minutes. Matt avait l’art de faire croire qu’il s’intéressait à tout le monde. Mais en réalité, sa principale préoccupation était sa chevelure brun cuivré et comment la coiffer pour être le plus séduisant.

Lex coinça consciencieusement ses longs cheveux bruns derrière ses oreilles, sentant les pointes caresser son cou. Elle ne savait pas pourquoi ça lui importait. En dehors bien sûr du fait que Matt soit une sorte de superstar au bureau. Pour sa part, elle faisait plus ou moins partie des meubles.

Tout le monde les attendait dans la salle de réunion vitrée, assis autour d’une table ovale, leurs cahiers de notes et stylos posés devant eux. Lex réalisa d’emblée qu’elle avait laissé ses propres affaires sur son bureau. Une autre grossière erreur. Impossible de retourner les chercher maintenant, elle avait déjà tellement retardé la réunion.

– Je l’ai trouvée, annonça victorieusement Matt.

Il passa les portes aux poignées métalliques, les bras levés comme pour recueillir les applaudissements. Ses collègues jouèrent le jeu et il y eut un murmure d’appréciation autour de la table.

– Je suis vraiment désolée, balbutia Lex en se dépêchant de rejoindre sa place. Les épreuves viennent d’arriver, je me suis laissé distraire et…

– Bien, bien, dit Bryce Kowlowski, l’associé principal.

C’était le chef des acquisitions, le patron direct de Lex et il n’avait pas l’air content. Mauvais signe, surtout qu’il avait le pouvoir de décider combien de nouveaux auteurs elle pouvait recruter chaque année. Et elle avait déjà un tout petit budget.

– Asseyez-vous Alexis. Bien. Les rapports mensuels, s’il vous plaît.

– Je commence, dit Matt en souriant.

Il ouvrit son calepin depuis son siГЁge Г  la droite de Bryce.

– Le lancement du cinquième tome de L'école des sorcières pour filles rebelles se porte très bien. Nous sommes restés numéro un du New York Times et au sommet des ventes chez Barnes & Noble deux semaines d’affilée. Les quatre premiers tomes sont aussi dans la liste. Les négociations avec Warner Brothers sont presque finalisées pour une franchise de sept films.

– Merveilleux, dit Bryce en laissant tomber son stylo sur la table pour l’applaudir. Très bonne nouvelle, Matt. Bon travail.

Autour du reste de la table, Lex et les autres applaudirent docilement. Elle était encore sonnée, ébranlée à l’idée de devoir faire tout son rapport de tête. Non pas qu’il y ait grand-chose à rapporter… Ce qui ne la réconfortait pas.

– Et de votre côté Karen ? demanda Bryce en s’adressant à l’éditrice assise à la droite de Matt.

C’était une belle femme aux traits fins qui avait toujours rappelé à Lex les sorcières du film Hocus Pocus. Prêtes à sacrifier autant d’enfants qu’il serait nécessaire pour lancer leur sortilège de beauté. La seule différence entre elle et ces sorcières était son accent de Boston qui était des plus prononcés.

Ce n’était sûrement pas une coïncidence si Karen était spécialisée dans les biographies et les mémoires. Elle s’occupait généralement des clients célèbres. Autrefois, Lex pensait qu’elle adorait tous les genres littéraires. Mais c’était avant qu’elle n’essaie de lire l’un des livres que Karen avait acquis pour l’entreprise.

– Juste un Trudeau vient de dépasser la barre des cent mille copies, rapporta Karen de sa voix nasillarde.

Elle s’arrêta pour recevoir les félicitations, mais Bryce ne fit que hocher la tête pour l’encourager à poursuivre.

– Les droits pour Entre Dwayne Johnson et Le Rock viennent d’être achetés en vue d’un biopic. Nous constatons un nombre impressionnant de précommandes pour Kevin Hart : Histoires et Nouvelles, qui devrait logiquement se retrouver en haut de tous les classements pour les sorties de la semaine prochaine.

– C’est génial Karen, félicitations, s’exclama Bryce en levant les mains pour une nouvelle tournée d’applaudissements. Deux best-sellers à la suite, bien joué toute l’équipe. Cela va réaffirmer notre position de leader dans la publication de biographies des célébrités. Nous sommes bien partis pour dépasser les éditions Tout Ce Qui Conte.

Des murmures de félicitations s’élevèrent autour de la table mais Lex ne pouvait se résoudre à y participer. C’était tellement superficiel. Elle avait assisté à des réunions où les manuscrits de célébrités avaient été acceptés ou refusés uniquement en fonction du nombre d’abonnés Instagram de leurs auteurs. Il n’y avait aucune intégrité, aucune passion.

Lex se concentra sur la vue de Boston qu’elle apercevait par la fenêtre derrière Bryce et se perdit dans ses pensées tandis que celui-ci continuait son tour de table. Le temps était dégagé et la ville était comme toujours époustouflante. Même si elle avait eu le temps de s’y habituer depuis qu’elle travaillait ici. C’était chez elle, mais la vue ne l’aidait pas à déstresser. Elle essayait désespérément de se souvenir des chiffres qu’elle devait rapporter tout en se maudissant d’avoir oublié son calepin qui contenait précisément tous ses résultats. Elle savait que ça ne changerait pas grand-chose. Les chiffres n’étaient pas élevés comparés à ceux des célébrités.

Pourtant, les autobiographies en elles-mêmes n’étaient ni bonnes, ni véridiques. Elles étaient pleines de rumeurs, de on-dit et d’histoires inventées pour améliorer l’image des célébrités. Tout ce qu’ils avaient à faire, c’était de citer « M. X » ou de prétendre qu’ils changeaient les noms pour des raisons de sécurité et ils pouvaient raconter ce qu’ils voulaient en toute impunité.

– Mademoiselle Blair ? dit Bryce.

Lex sursauta, tirée de sa rêverie. Elle fit tomber le stylo qu’elle tenait sur la table et vit en regardant ses mains que la pointe avait créé une tache noire sur son doigt.

– Et vous ?

Lex bougea inconfortablement sur sa chaise, essayant de cacher son pouce dans la paume de sa main. Elle ne voulait pas que Matt et Karen remarquent sa maladresse et se moque à nouveau d’elle.

– Économie des Colons : Comment Vivaient les Nouvelles Colonies fait partie des favoris pour le Prix Wolfson, et le National Book Award dans la catégorie Documentaires, dit-elle en espérant que Bryce ne lui réclame pas de chiffres. La rumeur d’un Pulitzer d’Histoire court pour Registres postaux et tendances migratoires. Nous n’en serons certains que lors de l’annonce évidemment.

– Et le nombre de ventes ? demanda Bryce dans l’expectative, son crayon planant au-dessus de son calepin.

Lex dГ©glutit.

– Moins de cinq mille, admit-elle.

– Pour lequel ? Économie ou Registres ?

– Pour tout, dit Lex.

Elle sentit plus qu’elle n’entendit les souffles coupés dans la pièce. C’était son plus mauvais mois. La grande majorité de ses ventes avaient été pour des bibliothèques et des écoles.

Le regard de Bryce s’attarda sur elle un moment avant qu’il ne secoue la tête et se détourne pour prendre des notes. Elle savait que ce n’était pas assez. Malheureusement, il n’y avait pas beaucoup de demandes pour les spécialités de sciences et textes historiques. Ces livres étaient importants, tellement importants qu’elle aurait voulu monter sur la table et le crier jusqu’à ce que les autres éditeurs s’en rendent compte. Mais il n’y avait qu’une minorité de personnes dans le monde qui pouvait les comprendre et il y avait encore moins de monde qui voulait les acheter.

Elle savait qu’il n’y avait que la promesse des récompenses et les bonnes critiques qui avaient convaincu Bryce de laisser son département ouvert aussi longtemps. Elle avait cultivé un catalogue des meilleurs auteurs du genre, avec les opinions et les découvertes les plus novatrices. Le problème, c’est qu’ils ne sortaient qu’un livre ou deux à cause du temps qu’il fallait pour les écrire et de leur extrême spécificité. Si elle ne continuait pas à produire des révélations, elle ne pourrait pas garder sa place bien longtemps.

Pourtant, tandis que Bryce libérait les éditeurs, Lex savait que cette année était un bon cru. Ces livres étaient des gagnants, ils avaient le potentiel de changer le monde et ce n’était pas rien.

– Un Pulitzer. Bien joué, dit Karen en s’approchant la main tendue.

Lex savait au ton de sa voix que ça n’avait rien d’une félicitation. Elle se moquait d’elle. Pourtant, elle répondit automatiquement à la poignée de main. Ce geste lui rappela trop tard la tache d’encre sur son doigt et elle constata avec horreur que la marque noire avait déteint sur Karen, lui recouvrant la paume là où le pouce de Lex s’était posé.

Lex était sur le point de dire quelque chose, de s’excuser, mais Karen s’était déjà retournée vers Matt avec un rire hautain, visiblement destiné à Lex pour bien lui faire comprendre que ses félicitations étaient hypocrites. Ce faisant, Karen passa sa main sur son visage, plus précisément autour de son œil comme pour essuyer une larme de rire. Elle se retrouva avec une trace noire ressemblant à un œil de panda sur son maquillage parfait.

Lex se mordit la lèvre. Le stylo était de la marque qu’utilisaient leurs auteurs pour faire les dédicaces, pigmenté et permanent. Elle fit semblant de devoir mieux ranger sa chaise sous la table pour éviter de rire devant Karen. Elle préférait être loin d’elle pour éviter les suspicions lorsque quelqu’un la préviendrait.

– Alexis, dit Bryce la voix basse bien qu’il ne resta plus qu’eux dans la pièce. Pouvez-vous m’accompagner dans mon bureau ?

Alexis sentit une boule se former dans son estomac en entendant le ton de sa voix et il lui fallut un moment pour convaincre son corps de se dГ©tourner de la table pour le suivre.


***

– Écoutez, dit Bryce qui se tenait face à Lex de l’autre côté de son bureau.

Celui-ci Г©tait dГ©corГ© de photos de ses enfants, mais derriГЁre lui le mur Г©tait rempli de rГ©compenses et de certificats encadrГ©s, et mГЄme de couvertures de magazines. Il avait eu une longue carriГЁre pleine de succГЁs.

– Ne croyez pas que je ne trouve pas vos livres importants.

La conversation commençait mal.

– Bien sûr qu’ils sont importants. dit Lex se mettant instantanément sur la défensive. Ils sont révolutionnaires. Déterminants. Les recherches du professeur sur le système endocrinien seront sans doute étudiées en École de médecine pendant des décennies.

– Oui, mais, c’est juste que…, dit Bryce en remontant ses lunettes à grosses montures sur son nez. Ils ne se vendent pas très bien. J’en ai discuté avec les autres partenaires et j’ai parlé en votre faveur, mais selon eux, il n’est pas judicieux pour Enlivrez-vous de continuer à subir des pertes, même pour changer le monde.

Lex le regarda un moment, bouche bée, incapable d’assimiler ses paroles.

– Et les récompenses ? demanda-t-elle. Les critiques ? Elles donnent une bonne image de l’entreprise, elles nous font paraître dans les journaux…

– Malheureusement, elles ne donnent une bonne image de nous qu’aux autres écrivains académiques et aux éditeurs, dit Bryce. Sa bouche formait une grimace contrite.

– Mais Le Pétrole de Champignon a été absolument révolutionnaire dans son domaine, il a reçu un super accueil…

– Malheureusement, transformer les champignons anaérobies en une source de biocarburant est un « domaine » extrêmement réduit. Nous n’en avons vendu que cinq cents copies, soupira Bryce. Je suis vraiment désolé Alexis. Vous êtes une bonne éditrice. Vous avez du flair. Le problème vient du genre de livre dont vous vous occupez et aussi merveilleux soient-ils, ils ne se vendent pas.

Lex essaya de s’éclaircir les idées, elle secoua la tête essayant de comprendre ce qu’il voulait dire.

– Que vais-je… Quel genre de livres voulez-vous que j’édite ?

Bryce s’agita, mal à l’aise, les mains croisées sur la table près de la sienne comme pour s’empêcher de tendre la main vers elle.

– Je suis désolé Alexis, répéta-t-il. Nous partons dans une direction très différente, complètement éloignée des documentaires, en dehors des mémoires. Je voudrais que vous rejoigniez Karen au département des Autobiographies de célébrités.

Lex le fixa silencieusement. Elle l’entendait mais n'arrivait pas à le comprendre. Puis, elle eut l’impression que le sol s’écroulait sous ses pieds. Comment pouvait-il penser qu’elle serait capable de travailler dans le département de Karen ?

– Je ne peux pas faire ça, murmura Lex, la gorge sèche. Je ne peux pas travailler sur les Célébrités.

– Alexis, vous m’avez mal compris, dit Bryce. Ce n’était pas une proposition. Votre département va disparaître et il n’y a pas d’autre poste vacant hormis celui-ci. Vous allez aux Célébrités.

Lex savait au fond d’elle-même qu’elle avait besoin de ce travail et qu’elle aurait des ennuis si elle le perdait. Elle risquait aussi de perdre son appartement et de devoir retourner vivre chez sa mère à l’âge de trente-deux ans. Mais par-dessus tout, elle était absolument certaine d’une chose, elle n’y arriverait jamais.

– Comment suis-je censée travailler sur ces livres ? demanda-t-elle désespérément. Vous savez que c’est impossible. Lorsque je suis arrivée, je voulais travailler pour vous, car vous publiiez de la grande littérature. De vrais livres. Qui faisaient une différence.

– Je sais, soupira Bryce en se frottant les yeux. Les choses ont changé dans le monde de l’édition. Nous sommes en compétition avec les e-books et en ce moment c’est ce qui se vend. Ma hiérarchie se moque des prouesses littéraires, ils ne regardent que les chiffres.

– Je ne peux pas.

Lex regarda sa main et l’encre noire sur son pouce. Étrangement, en cet instant, elle lui rappelait son père qui étiquetait ses livres à la main. Il avait tout misé sur son rêve, celui d’ouvrir une librairie. Quand il avait perdu l’affaire, tout avait changé. Les rêves brisés, l'incapacité de les poursuivre avaient été pires pour lui que perdre son emploi.

– Je sais que les gens vont me croire folle de dire ça, mais je ne peux pas. Pas si je dois perdre ce que j’aime le plus dans ce métier.

– Ne faites pas ça, dit Bryce en secouant la tête. Vous avez tellement travaillé pour avoir ce poste. Ne partez pas maintenant.

– Désolée, dit-elle.

Ses mots lui paraissaient lointains, comme s’ils étaient prononcés par une autre personne.

– Je suis reconnaissante pour tout ce que vous avez fait pour moi, vous avez été mon mentor, vous m’avez défendue quand mes ventes étaient basses. Mais je dois démissionner.

Bryce la fixa, ébahi. Lex n’était pas surprise. De toute sa carrière chez Enlivrez-vous, elle n’avait rien fait d’aussi courageux.

– Je vais vous écrire une lettre de recommandation, dit-il enfin.

– C’est gentil, répondit Lex avec un sourire poli. Je ne pense pas que je retrouverai un travail comme celui-là. Personne ne voudra d’une éditrice de documentaires aux ventes désastreuses et aux titres obscurs. Vous avez raison, le marché a changé. Il est peut-être temps que je change aussi. Je vais rester fidèle à moi-même et voir où ça me mène.

– Je vous serrerais bien la main, dit Bryce avec un sourire larmoyant, mais je voudrais éviter de passer les deux prochaines heures à essuyer de l’encre.

Lex réprima un rire, levant sa propre main en l’air pour dévoiler la tache qu’il avait déjà remarquée.

– C’était une bonne expérience, dit-elle.

– Effectivement. Bryce s’enfonça dans sa chaise l’air abattu. Je vous souhaite bonne continuation, peu importe ce que vous choisirez de faire.

Tant bien que mal, avec des mouvements machinaux, Lex rГ©ussit Г  se lever, Г  ranger la chaise sous le bureau puis Г  se tourner vers la porte. Les choses lui paraissent irrГ©elles en cet instant.

– Votre départ prend effet immédiatement, l’interpella rapidement Bryce avant qu’elle ne sorte. C’est la politique de la compagnie dans ce genre de situation. Karen s’occupera d’achever vos manuscrits en cours et nous ferons tout ce qui est possible pour eux. Vous avez droit à un préavis de quatre semaines pendant lequel vous recevrez votre salaire, mais vous ne pourrez pas revenir. À cause de la sécurité des données, des plannings et tout ça. Ils ne veulent pas prendre de risque.

Lex le fixa de nouveau un moment, sa main hésita au-dessus de la poignée de la porte. Ce n’était pas dit méchamment, il avait même l’air désolé de son annonce. Une vague d’indignation la submergea, elle n’aurait pas le temps de dire au revoir. Sauf qu’en y repensant, il n’y avait pas beaucoup de personnes ici qu’elle considérait comme ses amis. Bryce avait toujours été gentil avec elle et compréhensif. Mais c’était terminé.

Elle se détourna et se dirigea vers son bureau comme abasourdie. Lex se dit vaguement qu’elle allait devoir trouver une boîte quelque part pour ranger ses affaires. Puis elle se demanda ce qui allait se passer maintenant.




CHAPITRE DEUX


Lex s’appuya contre l’encadrement de la porte. Elle se sentait fatiguée et vidée par les évènements de la journée, traverser la moitié de Boston pour rentrer n’avait rien arrangé. Elle faillit tomber à l’intérieur de l’appartement lorsque la porte s’ouvrit sur Colin, son petit ami depuis six mois. Il arborait un grand sourire sur son visage couvert de taches de rousseur, heureux de la voir, mais son expression changea dès qu’il croisa son regard.

– Lexie ? demanda-t-il. Qu’y a-t-il ?

Elle soupira et baissa la tГЄte en direction du tapis avant de rГ©pondre.

– J’ai perdu mon boulot. Je peux entrer ?

Colin s’écarta immédiatement pour la laisser passer, fermant la porte derrière elle avant de se rapprocher pour lui faire un câlin. Elle posa sa tête sur son épaule. L’odeur de patchouli de ses vêtements, qui la faisait toujours éternuer, lui emplit les narines. Elle tourna la tête pour essayer de respirer de l’air pur. Colin s’éloigna, pensant que son attitude signifiait la fin de l’embrassade.

– Je croyais que tu étais en lice pour recevoir un prix, dit-il en la conduisant jusqu’au canapé.

Il était jonché de numéros de magazines auquel il s’était abonné sur des affaires non élucidées et des théories du complot. Elle en poussa quelques-uns pour se faire une place.

– Le livre oui, moi non, le corrigea Lex. Il l’est toujours d’ailleurs. Apparemment, moi, je ne leur rapportais pas assez d’argent.

– Oh, bébé, dit Colin.

Il plissa le nez et secoua la tête tout en s’asseyant à côté d’elle, quelques mèches de ses cheveux bruns tombèrent devant ses yeux.

– Je suis désolé. Tu veux qu’on se fasse une soirée pizza avec des bières et qu’on regarde un film ? Tu pourras même pleurer sur mon épaule.

Cela eut au moins le mérite de rendre le sourire à Lex. Il la connaissait maintenant assez bien pour savoir qu’un film et un bon repas étaient les remèdes les plus efficaces en cas de coups de blues.

– Bonne idée, acquiesça-t-elle en voulant terminer cette journée sur une note positive.

Colin lui fit un grand sourire, puis il se pencha et lui embrassa la tempe.

– Je vais chercher le menu.

Tandis qu’il fouillait dans les tiroirs de la cuisine, Lex attrapa un des magazines ouverts sur la table et soupira. Il y avait un article sur les dernières émissions historiques disponibles en VOD et Colin avait entouré l’une d’elles au feutre rouge, La mort d’Hitler : Mythe ou Réalité ? Lex repoussa le magazine avec dégoût, elle avait eu son quota d’imbécilités pour la journée.

Elle préféra prendre la télécommande et commencer à chercher une adaptation cinématographique de roman à regarder. Il y avait plein de titres intéressants, mais elle choisit de se les garder pour un autre moment, quand elle pourrait pleinement en profiter. Finalement, elle se décida pour un livre Jeune Adulte, adapté en film l’année dernière. Heureusement, ce n’était pas l’une des prouesses de Matt.

– Tu veux la même chose que d’habitude Lexie ? demanda Colin depuis le couloir, le combiné collé à l’oreille. Et je prends aussi de la glace pour le dessert.

– Oui, comme d’habitude, répondit Lex.

Elle n’aimait pas changer. Une bonne vieille routine n’avait jamais tué personne et elle cherchait du réconfort.

– Tu as vu La joueuse rebelle ?

– Oui, mais ça ne me dérange pas de le revoir, dit Colin.

Puis il lui signala de la main qu’on répondait à son appel.

– Bonjour ? Oui, je voudrais commander des pizzas en livraison…

Lex laissa son esprit s’égarer pendant qu’il commandait. Ses yeux balayèrent la pièce et se posèrent sur une figurine de chouette qui se trouvait dans la bibliothèque de Colin depuis qu’elle le connaissait. Elle portait maintenant un chapeau en aluminium, minuscule mais ajusté. Lex réprima un rire. Même s’il se laissait emporter par des théories farfelues, Colin avait un sacré sens de l’humour. Il avait dû le rajouter après leur dernière dispute, lorsqu’elle l’avait accusé d’être sur le point de porter un chapeau en aluminium. Une dispute qui s’était transformée en fou rire lorsque Colin l’avait très sérieusement informé que l’aluminium amplifierait probablement les ondes au lieu de les arrêter.

C’était une dispute parmi tant d’autres. Il était têtu. Lex se demanda si elle serait capable d’en supporter une de plus.

– Les pizzas seront là dans vingt minutes, dit Colin en reprenant sa place sur le canapé. Ça va s’arranger, tu verras.

Il passa un bras bronzé par-dessus son épaule et l'attira contre lui. Il mit ses pieds sur la table basse et commença à siroter l’une des bières qu’il avait ramenées, plaçant la deuxième dans la main de Lex. Il lança le film et s’installa, son attention focalisée sur l’écran.

Elle se pressa contre lui sans vraiment regarder le film. Elle fixait leurs reflets qui apparaissaient dans l’écran lorsque celui-ci était assez sombre. D’un côté, Colin buvait joyeusement sa bière, en souriant. De l’autre, elle paraissait invisible, ses cheveux bruns se fondant dans le pull à col roulé noir qu’elle avait porté au travail. Ses lèvres étaient crispées par la tension et ses yeux chocolat cernés par la fatigue. Elle avait l’air épuisée, anéantie.

Pendant ce temps, Colin était absorbé par le film, loin de toute inquiétude. Elle savait que c’était ce qu’elle avait demandé, mais elle était tout de même un peu frustrée. Il ne semblait pas plus se préoccuper que ça du fait qu’elle ait perdu son emploi. Il aurait pu s’énerver, pensa-t-elle. Ou l’aider à s'inscrire sur un site d’annonces pour trouver un autre poste. N’importe quoi aurait été mieux que de faire comme si de rien n’était, comme si elle venait simplement de lui annoncer la météo de demain.

En réalité, elle n’avait rien à lui reprocher. Il était gentil, encourageant et ne la rabaissait pas pour avoir perdu son travail. C’était déjà ça. Beaucoup d’hommes auraient été plus méchants. Elle se détendit, posa sa tête contre son torse et essaya de se concentrer sur le film.

Les pizzas arrivèrent évidemment en plein milieu d’une scène clé. Lex et Colin lâchèrent un grognement au même moment, ce qui les fit éclater de rire. Lex attrapa la télécommande pour appuyer sur pause. Colin se précipita dans le couloir pour récupérer la commande des mains du livreur et revint au moment où Lex ouvrait deux nouvelles bières.

– Ça sent super bon, dit-il en posant les cartons sur la table basse.

Lex posa les bières près des pizzas et ouvrit l’un des couvercles. Elle tendit la main pour attraper la toute première part encore fumante.

– Tu as bien raison, dit-elle en inspirant profondément avant de croquer.

Les saveurs explosГЁrent dans sa bouche : fromage gras et chaud fondu sur les tomates, pГўte parfaitement cuite et tranches de champignons juteuses se mГ©langeaient ensemble en une seule bouchГ©e.

Colin relança le film et se pencha pour la rejoindre, tous les deux se tenaient au-dessus de la boîte pour manger, une main traînant sous chaque part pour attraper les miettes égarées.

Le film était loin d’être aussi original et captivant que Lex l’avait espéré, mais il avait le mérite de lui servir de distraction. Elle regarda la jeune héroïne en levant les yeux au ciel. Comment la fille faisait-elle pour ne pas se rendre compte de la magie qui l’entourait ? Les personnages de ce genre d’histoires étaient tellement naïfs. Ils ne comprenaient rien par eux-mêmes, et ils se retrouvaient toujours dans des situations dangereuses.

Lex se dit qu’une adaptation de roman n’était, en fin de compte, peut-être pas le meilleur des choix. Après tout, elle ne pouvait s’empêcher de réfléchir à la trame et à la structure, ce qui revenait, pour elle, à travailler. Non pas que ce soit encore son travail. Qu’allait-elle faire maintenant ? Ce qu’elle avait dit à Bryce était vrai : il n’y avait généralement pas de poste disponible pour des éditeurs qui travaillaient sur des genres très spécialisés.

– Tu sais, dit Colin en finissant la dernière bouchée de sa part, elle ne ressemble même pas à ça en vrai.

Lex reporta son attention sur l’écran où l’on pouvait voir la Terre depuis l’espace. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu’elle avait raté. Comment ça ?

– La planète. Elle n’est pas comme ça. En fait, elle est plate.

Lex le fixa, sa troisiГЁme part de pizza oubliГ©e.

– Non, elle ne l’est pas.

– Si.

Colin se décala pour lui faire face, signifiant qu’il allait commencer à lui expliquer quelque chose qui était pour lui essentiel. Il avait sans doute attendu d’avoir une bonne excuse pour lui en parler.

– J’ai fait des recherches. C’est un gigantesque complot. On raconte à tout le monde que la Terre est ronde et on a toutes ces images truquées qui sont censées venir de l’espace. Ce n’est pas vrai. C’est prouvé scientifiquement. La Terre est forcément plate.

– Colin, dit calmement Lex, à peine capable de croire qu’elle avait cette conversation. Écoute-moi. Les Platistes sont des idiots. C’est complètement faux.

– Regarde vers l’horizon, dit Colin en gesticulant des bras. On devrait voir une courbe si la Terre était ronde, non ? Même une toute petite ? Mais il n’y en a pas. C’est toujours bien droit. Ils ont fait des expériences et il s’avère que si tu mesures une ligne droite d’un bout à l’autre de la Terre elle ne se courbe pas. C’est complètement plat.

– Non, ça…

Lex inspira profondément, essayant de ne pas s’énerver. Ce n’était pas le bon jour pour jouer avec sa patience.

– Colin, tu ne peux pas voir la courbe de la Terre à l’œil nu parce que la Terre est immense. Il y a des gens qui ont mesuré cette courbe et elle existe bel et bien. Tu ne peux pas t’informer uniquement sur les forums de Platistes. Fais de vraies recherches, beaucoup de gens ont réfuté cette théorie de tellement de façons différentes. Je vais même te montrer, regarde, je vais te montrer sur mon téléphone. Voilà, des photos de la NASA prise depuis la Station Spatiale Internationale. Tu vois ?

– Oh, Lexie. Ils t’ont eu toi aussi, dit Colin en lui prenant la main avec compassion. C’est ce qu’ils veulent nous faire croire, tu sais ? Tout ça parce qu’il y a des matériaux très précieux autour des bords de la Terre. Juste avant le vide intersidéral, il y a des mines où les gouvernements du monde fabriquent leur argent. Ils ne veulent pas qu’on le sache pour mieux contrôler les richesses et nous mener à la baguette. Toutes les photos sont truquées, personne n’a jamais été dans l’espace. Je vais te montrer des sites. Tu dois regarder la vérité en face.

Lex retira précipitamment sa main de celle de Colin et laissa tomber la part qu’elle mangeait dans la boîte.

– Tu sais quoi, Colin, dit-elle.

Elle avait eu une longue journée, même une série de longues journées pour autant qu’il sache et maintenant il essayait de lui « mec-spliquer » un sujet sur lequel elle était beaucoup mieux informée que lui.

– Tout mon travail porte, enfin portait sur les sciences et l’histoire. Et tu penses vraiment que je ne serai pas au courant, si la Terre était plate ?

Colin fronça les sourcils.

– Je pense juste que tu mérites de connaître la vérité, au lieu de rester dans l’ignorance comme le reste du troupeau. Tu ne m’as pas cru non plus quand je t’ai parlé des faux alunissages, ou de la race d’hommes-lézards qui dirige la planète et nous contrôlent, ni même des Illuminatis et de leurs messages secrets ! Tu es tellement étroite d’esprit !  Je ne suis pas sûr de pouvoir rester dans une relation avec quelqu’un qui refuse de voir la vérité.

Lex secoua la tête, incrédule. Les mots de Colin avaient sûrement pour but de résonner comme une menace, une menace qui la ferait en temps normal se défiler et essayer de le calmer. Mais pour quoi faire ? Pour qu’il recommence la semaine prochaine, et encore celle d’après ?

– Je ne supporte plus d’être entourée de gens irrationnels, dit-elle, plus pour elle-même que pour Colin qui ne l’écoutait pas de toute façon. Je ne peux pas. C’est simple. Ça suffit.

Elle se leva du canapé, attrapa son sac près de la porte en passant. Une rage sourde commença à l’envahir, alimentée par sa colère d’avoir perdu son travail, par la suffisance de Karen, par le manque de sensibilité de Colin et par tout le reste. Cette rage la poussait maintenant vers l’avant avec une énergie décuplée.

– Lexie, bébé, où vas-tu ? demanda-t-il.

Il n’avait l’air ni inquiet, ni bouleversé, mais simplement condescendant. Comme s’il ne croyait pas qu’elle puisse vraiment partir. Derrière lui le film continuait de défiler, totalement oublié. Elle savait qu’il ne l’avait pas écouté, pas vraiment.

– Je rentre chez moi, répondit Lex par-dessus son épaule. Je ne reviendrai pas. C’est fini Colin. N’essaie pas de m’appeler.

Elle sortit de l’appartement et claqua la porte derrière elle pour marquer le coup, descendant le couloir, puis les escaliers en ne ressentant rien d’autre que du soulagement. Même si elle savait au fond d’elle qu’elle avait fait le bon choix, il restait tout de même une question qui la taraudait : maintenant qu’elle avait réussi l’exploit de perdre à la fois sa carrière et sa relation en l’espace d’une journée, qu’est-ce qui pourrait encore lui arriver ?




CHAPITRE TROIS


Lex se précipitait vers son père, tout excitée. Il la souleva pour l’emmener vers l’arrière de la boutique. Derrière l’imposant comptoir en bois, vernis de rouge foncé, il y avait une porte qui menait au monde extérieur où une palette remplie de carton les attendait.

– Attention, dit son père.

Il la protégea de ses mains en la posant avant de faire apparaître un couteau de poche. Avec des gestes précis, il coupa le scotch qui retenait chaque carton, l’un après l’autre, puis il en attrapa un pour le poser par terre à la hauteur de Lex.

Elle plongea dedans avec enthousiasme, sortant un exemplaire flambant neuf d’un livre portant la photo d’une Reine en tenue de Tudors qui posait entourée d’épines.

– Où va celui-là, ma puce ? demanda son père en lui mettant la main sur l’épaule.

– Fictions Historique, annonça Lex, les mains déjà dans la boîte pour sortir les deux autres exemplaires du même roman.

– Bien joué. Tu as gagné le droit de les ranger et je m’occupe des autres, dit-il en lui ébouriffant les cheveux.

Lex sourit et repartit en courant vers les étagères, un chemin qu’elle pourrait retracer dans le noir les yeux fermés. C’était son monde : d’immenses piles de romans, l’odeur des livres neufs, les pages usées et cornées de la section des occasions, les classements alphabétiques et par genre, le calme et les chuchotements des clients. Son père toujours près d’elle pour lui faire découvrir les meilleurs titres, lui montrer de nouveaux mondes…

Elle posa les livres sur l’étagère et se retourna, mais son père n’était plus dans l’arrière-boutique.

– Papa ? appela-t-elle, sa voix résonnant étrangement dans cet endroit vide de toute présence. Papa ? Où es-tu ?

Lex se réveilla en sursaut, sentant un frisson parcourir son corps. Elle transpirait, le souvenir de ce rêve se répétant en boucle dans son esprit. Elle avait compris d’instinct que son père n’était plus là.

Peut-être parce qu’il était également parti, ici, dans la vraie vie. Aussi idyllique que sa vie lui paraissait lorsqu’elle était enfant, elle n’avait aucune idée de ce qu’il se passait en coulisses. Aucune idée des disputes de ses parents, des problèmes d’argent, du manque de marge réalisé sur les ventes. Doucement, sur deux ans, la section des livres d’occasion s’était agrandie, jusqu’à ce que le magasin entier ne vende plus que ça. Son père avait dû croire que ce changement pourrait sauver le magasin.

Lex se souvint avec nostalgie de ses flâneries parmi ces étagères. Les livres d’occasion avaient une odeur complètement différente, celle du vieux papier et de la vie. Chacun d’eux avait sa propre histoire, son propre passé, pas seulement sur les pages, mais aussi dans la vie du livre en lui-même. Des dédicaces griffonnées au stylo ou au crayon à l’intérieur de la couverture. Le bord des pages usé, corné et déchiré, les annotations occasionnelles dans la marge. Les plis dans la tranche là où le livre avait été lu et relu, aimé et emporté partout dans un sac.

C’était magique, jusqu’au jour où ça ne l’était plus. Le magasin fit faillite et ses parents la firent asseoir pour lui annoncer un après-midi d’été brumeux, alors qu’elle ne pensait que rien de mal ne pouvait arriver, qu’ils divorçaient.

Lex resta avec sa mère alors qu’elle souhaitait partir avec son père. Celui-ci vivait dans un motel le temps de trouver un nouvel appartement permanent. Un jour il quitta le motel et ne revint jamais.

Lex ne l’avait pas revu depuis.

C’était une vieille blessure. Lex avait maintenant trente-deux ans et les bons souvenirs du magasin ne représentaient qu’une petite partie de sa vie. C’était terminé depuis longtemps. Elle avait essayé de retrouver son père à l’adolescence, durant ses études et après son diplôme. Elle n’avait jamais trouvé la moindre trace de lui, et un jour, elle avait arrêté de chercher.

Lex sortit les pieds du lit et marcha jusqu’à la cuisine de son petit appartement, récupérant un verre dans le placard pour le remplir d’eau. Le rêve persistait dans son esprit et pas seulement à cause des émotions qu’il avait remuées.

Elle s’était accrochée à ce rêve depuis que le magasin avait fermé : ouvrir un jour sa propre librairie, suivre les traces de son père. Après sa disparition, elle s’était même imaginée ce fantasme dans lequel il apprenait qu’elle avait ouvert son propre magasin. Il l’aurait rejoint pour travailler avec elle au milieu des étagères, comme ils l’avaient fait lorsqu’elle était enfant. C’était en partie plus un souhait qu’un projet, mais l’ambition était toujours là.

À l’origine elle avait commencé dans l’édition pour être proche des livres. Elle voulait en apprendre plus sur le marché, comprendre ce qui se vendait et ce qui ne marchait pas. Elle pensait que ça lui servirait, qu’elle se créerait des contacts utiles pour le jour où elle se lancerait. Mais quelque part en chemin elle avait été promue d’assistante à éditrice junior, puis on lui avait donné son propre bureau, aussi petit soit-il, et le rêve s’était dissipé.

Lex termina son eau et retourna le verre sur l’égouttoir. Elle regardait par la fenêtre sans vraiment voir la vue. Quand avait-elle laissé tomber ce projet ? Elle en avait rêvé pendant tant d’années et c’était logique. Elle connaissait les livres. Ils faisaient partie de son âme. De plus, avec une librairie d’occasion, pas besoin de suivre les dernières tendances, le marché, les pires autobiographies. On récupère ce que l’on trouve, on cherche des perles rares et on se construit une clientèle qui aime vraiment les livres.

Lex se retrouva dans sa chambre, à la recherche de son portable sur sa table de chevet. Il y avait des messages de Colin qu’elle ignora, les balayant impatiemment de l’écran pour ouvrir l’application de sa banque. Elle en étudia le contenu avec contrariété. Elle n’avait jamais été douée pour économiser, encore moins avec cet appartement en plein centre de Boston qui prenait déjà une bonne partie de son salaire. Puis il y avait les courses, les trajets en métro, les sorties avec Colin…

Elle avait un peu de côté, mais un mois d’indemnité de licenciement, ce n’était pas grand-chose, du moins pas assez pour lancer son entreprise. Ça au moins elle en était certaine.

Mais elle avait d’autres options. Lex pensa à sa mère qui avait bien réussi ces quinze dernières années. Elle s’était remariée avec un homme riche et vivait dans une maison confortable avec piscine en banlieue. Elle avait une carrière fructueuse et son mari l’adorait. Ils ne seraient sûrement pas contre l’opportunité d’investir dans le projet de Lex, ni de la voir monter son entreprise.

Elle se décida à appeler sa mère dans la matinée. Tout ce dont elle avait besoin, c’était d’un coup de pouce pour se lancer et son rêve serait de nouveau accessible. Ce n’était pas grand-chose, elle n’avait rien emprunté à sa famille depuis l’université et elle avait tout remboursé dès qu’elle avait commencé à travailler. Elle était fille unique. Quel genre de parent ne voudrait pas la réussite de leur enfant ?

Elle se remit sous la couette l’esprit apaisé, souriant dans l’obscurité. Aujourd’hui, elle se remettrait sur la voie qu’elle n’aurait jamais dû quitter.


***

– Maman ? dit Lex en approchant le téléphone de son oreille, surprise. C’est fou. J’allais justement t’appeler !

En réalité, elle repoussait l’échéance. Elle s’était réveillée il y a plus d’une heure et avait passé son temps assise dans son lit à lire des articles sur son site d’informations préféré. Faisant tout son possible pour éviter l’inévitable.

– Ne va pas croire que c’est une coïncidence Alexis, lui dit froidement sa mère. Roger a entendu de Belinda que Carl avait parlé à Bryce ce matin. On dirait que nous sommes les derniers informés de ton licenciement.

Lex soupira. Elle n’avait aucune idée de qui étaient ces gens, en dehors de Roger, le nouveau mari de sa mère, mais elle avait le sentiment que si elle lui demandait, elle aurait le droit à un sermon pour ne pas l’avoir écouté. Ce n’était pas comme ça qu’elle s’était imaginée cet appel. À peine commencée et elle était déjà hors sujet.

– J’étais fatiguée la nuit dernière, dit-elle. Je voulais t’appeler aujourd’hui.

– Mais que s’est-il passé ? s’effondra sa mère. Belinda était là à offrir ses condoléances, à dire à Roger que ça allait s’arranger, que ce n’était pas la fin du monde et qu’elle était persuadée que tu allais rebondir. Alors que nous n’en savions rien. Comment as-tu pu perdre ton travail ?

– Ce n’était pas de ma faute, dit Lex.

Sachant pertinemment que cette excuse Г©tait nulle, elle continua rapidement pour ne pas laisser le temps Г  sa mГЁre de rГ©agir.

– Bryce m’a annoncé que les associés avaient décidé de se séparer des documentaires. Le département ferme, ce n’est pas seulement moi.

– Aux dernières nouvelles, c’était toi le département. Tu ne pouvais rien faire ? Tu aurais dû faire plus de ventes. Tu ne leur as pas dit que tu pouvais travailler dans un autre département ?

Lex inspira profondément et compta jusqu’à dix dans sa tête.

– C’est trop tard maman. J’ai fait tout ce qu’ils m’ont demandé, mais ce genre de livres ne fait pas de gros chiffres. Avant ils s’en contentaient, mais je suppose qu’ils ont changé d’avis. J’ai demandé où je pouvais aller et Bryce m’a dit que ma seule option était le département des autobiographies de célébrités. Ce n’était pas possible.

– Qui t’a rendu aussi hautaine et ingrate pour croire que tu pouvais refuser un très bon travail ? éclata la mère de Lex.

Elle s’y attendait, notamment à cause de ce qui se trouvait dans la bibliothèque de sa mère. La biographie de Dolly Parton était beaucoup plus usée que Crime et Châtiment.

– Et on peut savoir ce que tu faisais hier soir de si important et qui t’as empêché de nous appeler ? M’éviter à tout prix, car tu savais que je ne serais pas contente ?

– Non, Maman, dit Lex la mâchoire serrée. J’étais chez Colin. Puis nous avons rompu. De toute façon je ne suis pas obligée de t’appeler dès qu’il m’arrive quelque chose, tu sais ? Je suis adulte.

– Tu as rompu avec Colin ? s’écria sa mère. Non mais, Lex ! Tu nous fais quoi ? Tu essaies de t’autodétruire ? Vous étiez ensemble depuis des mois. Tu ne te rajeunis pas et je veux avoir des petits-enfants un jour. Que vas-tu faire maintenant, sans personne pour t’entretenir ?

Lex ferma les yeux en se pinçant le nez.

– Je vais m’entretenir toute seule. J’ai mes indemnités de licenciement et je vais trouver autre chose. D’ailleurs Maman, c’est pour ça que je voulais t’appeler.

– Tu veux que Roger te pistonne ? supposa sa mère. Il peut sans doute te trouver une place au département comptabilité. Il cherche toujours du monde pour gérer l’administration quotidienne. Je peux lui demander de donner ton CV…

– Non. Merci, mais… non.

Lex prit une profonde inspiration. Comptable ? Vraiment ? Sa mère semblait être passée d’une colère sourde à une solution. C’était une femme d’affaires animée par la logique et l’action. Elle savait qu’il fallait se dépêcher pour bien faire, ce qui expliquait sûrement pourquoi elle était aussi déçue de savoir que Lex avait coupé court à sa carrière et à sa relation en une journée. Mais il était hors de question pour Lex d’abandonner si facilement et de devenir comptable. Lex lui annonça rapidement, comme on arrachait un pansement.

– Je veux que tu m’aides. Je vais ouvrir ma propre librairie d’occasion. J’ai juste besoin d’un petit apport d’argent, un investissement. Je te rembourserais avec mes bénéfices.

Il y eut une longue pause, atrocement longue pour Lex, qui avait l’impression que chaque seconde durait des heures.

– Je pense que je capte mal, Alexis, dit froidement sa mère. J’ai cru entendre que tu voulais ouvrir une librairie d’occasion.

– Oui, c’est ce que j’ai dit, répondit Lex, sa gorge devenant sèche. Maman c’est ce que j’ai toujours voulu. C’est le moment idéal. Je dois juste me lancer.

– Oh oui, c’est ce que tu as toujours voulu, lança sa mère. Surtout que ça a très bien fonctionné quand ton père s’est lancé. Ça nous a détruit et tu le sais. Ça a détruit notre mariage. Non. Je ne te laisserais pas foutre ta vie en l’air pour un rêve qui date de ton enfance. Ça fait bien longtemps Alexis. Il ne reviendra pas, même si tu ouvres une librairie pour lui.

Lex reprit une inspiration, sentant ces mots l’atteindre droit au cœur. C’était cruel, d’autant plus que c’était vrai. Elle le savait. Ce n’était pas juste pour ramener son père. Ce n’était pas ça du tout.

Elle voulait faire la seule chose qu’elle avait vraiment aimé, mettre tout son cœur à l’ouvrage et peut-être restaurer l’héritage qui aurait toujours dû être le sien.

– Je…, Lex déglutit difficilement, essayant de ne pas pleurer et cherchant ses mots. Je sais que je peux réussir.

Sa mère souffla de l’autre côté du fil, sa respiration grésilla dans le combiné.

– J’allais te proposer de prendre en charge ton loyer jusqu’à ce que tu retombes sur tes pieds, mais tu peux faire une croix sur ton investissement, dit-elle fermement. Je ne te donnerais pas d’argent supplémentaire tant que tu n’auras pas abandonné ce rêve ridicule. Jusqu’à ce que tu grandisses et que je sois sûre que tu ne dépenses pas mon aide dans tes histoires de contes de fées. J’enverrai mes chèques directement à ton propriétaire. J’ai déjà ses coordonnées vu que je t’ai aidé avec ta caution.

– Maman ! s’écria Lex.

Comment pouvait-elle faire ça ? Elle savait que Lex aurait beaucoup de mal, même pour les petites choses comme les courses et elle était assez aisée pour l’aider. Même si elle était soulagée de ne pas avoir à se préoccuper de son loyer, c’était aussi un calvaire de devoir accepter la charité de sa mère. Surtout si elle s’accompagnait de la condition d’abandonner son rêve si rapidement.

– C’est pour ton bien, ma chérie, dit sa mère gentiment malgré le ton grave de sa voix. Tu sais que je t’aime et que Roger tient aussi à toi. Mais je ne vais pas financer cette obsession ridicule. Reprends-toi en main et reviens à la réalité. Nous serons là pour toi à ce moment-là.

L’appel se coupa et Lex regarda le combiné dans sa main en se demandant comment sa propre mère pouvait avoir autant tort.

Elle allait devoir trouver un autre moyen de rГ©aliser son rГЄve.




CHAPITRE QUATRE


Lex s’aspergea le visage d’eau, observant son reflet dans le miroir. Elle y voyait le même visage qu’elle avait toujours eu : des lèvres pulpeuses qu’elle avait héritées de sa mère, des yeux marron foncé surmontés par ses sourcils parfaitement dessinés et son nez retroussé. Tout cela encadré par ses cheveux : une frange coupée juste au-dessus des sourcils, le reste tombant jusqu’aux épaules.

– Alexis Blair, dit-elle en se regardant droit dans les yeux. Tu peux le faire. Tu vas réaliser ton rêve.

Elle se fixa quelques minutes de plus, jusqu’à ce qu’elle soit sûre d’être convaincue puis elle se détourna et s’essuya les mains. Sa vie semblait mal engagée : elle était au chômage, célibataire et devait compter sur sa mère pour payer son loyer.

Г‡a ne voulait pas dire que son rГЄve Г©tait sans espoir.

– Toucher le fond, se dit-elle à voix haute pour mieux se réconforter, signifie que tu peux repartir de zéro. Tu n’as plus rien à perdre. C’est ton moment.

Elle s’assit en face de son ordinateur, sentant son sang crépiter d’excitation et d’anticipation. Elle pouvait le faire, elle y arriverait.

Lex y avait bien réfléchi depuis l’appel de sa mère quelques heures auparavant, et elle n’avait pas beaucoup d’options devant elle. Elle ne pouvait pas ouvrir une librairie sans capital et elle n’en avait pas assez pour demander un prêt à la banque. De plus, il lui faudrait du temps pour faire ses recherches : trouver un emplacement, des fournisseurs, calculer les coûts et monter un business plan. Et du temps, elle n’en avait pas.

Elle savait qu’une librairie d’occasion était un projet viable. Par exemple, la librairie The Strand à New York avait tellement de succès qu’elle était célèbre dans le monde entier ! Lex n’avait même pas besoin d’être célèbre. Elle devait juste gagner assez d’argent pour en vivre. Ce n’était pas invraisemblable.

Pour se lancer, elle avait d’abord besoin d’un travail. Pour autant, ça ne voulait pas dire que ce travail devait être une perte de temps : un autre détour dans la quête de son rêve. Il pourrait même l’aider à l’atteindre. Elle avait commencé comme éditrice pour apprendre à connaître le marché et elle avait réussi. Maintenant elle voulait du concret, de l’expérience.

Et si elle voulait ouvrir une librairie d’occasion dans une petite ville, alors la meilleure préparation ne serait-elle pas de travailler dans une librairie d’occasion dans une petite ville ?

Lex fit craquer ses doigts, fixant la page ouverte du moteur de recherche devant elle. Elle devait trouver l’endroit idéal : un magasin qui vendait des livres d’occasion et surtout qui cherchait à embaucher. Elle n’était pas difficile, elle préfèrerait une position de manager qui payait mieux pour l’aider à économiser, mais peu importe. Elle pouvait se serrer la ceinture, déménager dans un plus petit espace quand sa mère arrêterait de couvrir son loyer, manger des nouilles trois fois par jour, tout ce qu’il faudrait pour mettre de l’argent de côté.

Elle ferait en sorte que Г§a fonctionne.

Lex tapa quelques mots-clés et commença à parcourir les sites de recrutement pour voir ce qu’elle pourrait trouver à Boston. Les grosses chaînes de magasins embauchaient, mais ça ne collerait pas. Elle avait besoin d’un magasin indépendant qui ne profitait pas des avantages d’un gros budget marketing et de vente en gros pour s’en sortir. De plus elle cherchait des livres d’occasion, pas du neuf. La vente d’occasion n’avait rien à voir avec la vente de nouveautés. C’était sans doute ce qui avait fait échouer son père. Se lancer dans un secteur de l’industrie du livre qu’il ne connaissait pas aussi bien qu’il le pensait.

Il y avait quelques librairies d’occasions que Lex connaissait déjà dans le coin, du moins assez proche pour qu’elle puisse s’y rendre en voiture, mais aucune n’avait de poste à pourvoir. Elle aurait souhaité rester en ville pour garder son appartement, mais plus elle cherchait, moins elle y croyait. Lex se mordit la lèvre et changea les paramètres de recherche pour regarder plus loin, espérant ne pas chercher une opportunité qui n’existait pas.

Après avoir écarté quelques offres qui ne correspondaient pas à ses critères, il ne lui en resta plus qu’une. Dans les quatre-vingts kilomètres autour de Boston, il n’y avait qu’une librairie d’occasion qui embauchait et ce n’était qu’un poste d’assistant commercial. C’était assez loin, elle ne pourrait donc pas garder son appartement. Non pas que ce soit une mauvaise chose. Au moins elle n’aurait plus à compter sur l’aide de sa mère, ce qui aurait été mauvais pour son égo.

Lex vérifia le salaire et faillit recracher son café. Il était élevé, le triple des autres offres qu’elle avait consultées. Même plus élevé que le salaire qu’elle touchait chez Enlivrez-vous.

Il devait y avoir erreur. Pourquoi une assistante commerciale gagnerait autant dans une librairie d’occasion ?

Lex ouvrit un nouvel onglet et tapa le nom du magasin, La Curieuse Librairie. Il n’y avait qu’un résultat, une image tirée de Street View montrant un petit magasin pittoresque situé dans un ancien bâtiment charmant. La façade était composée de boiseries et de briques apparentes. Il y avait un énorme « 36  » en cuivre au-dessus de la porte et Lex réalisa avec stupeur que la librairie de son père avait possédé le même numéro.

La coïncidence était étrange. Même si ça ne voulait rien dire, évidemment. Mais voir ces chiffres faillit lui tirer une larme. C’était peut-être le signe qu’elle devait se lancer.

Vérifiant de nouveau l’adresse pour être sûre de ne pas se tromper, Lex vit que le magasin se trouvait à Incanton. C’est une petite ville, près de la mer, à l’opposé de la tristement célèbre Salem sur la baie du Massachusetts, mais beaucoup plus bas sur la côte. Cliquant sur les images, Lex vit que la ville était aussi pittoresque que le magasin en lui-même, remplie de vieux bâtiments et d’étroites et tortueuses rues pavées, entourées d’arbres bien feuillus.

Étrangement, le cadre lui semblait familier. S’y était-elle déjà rendue ? Peut-être l’avait-elle vu dans un film. Elle avait un étrange sentiment de déjà-vu dont elle n’arrivait pas à se débarrasser. Elle était certaine de n’y être jamais allée, pour autant qu’elle s’en souvienne.

Rien dans ses recherches ne lui apprit pourquoi le magasin offrait un tel salaire. Après beaucoup d’investigations et de mauvais résultats, Lex trouva le site de LaCurieuse Librairie, mais il n’y avait qu’une page d’accueil avec un numéro de téléphone et une ligne donnant l’information suivante : «  Uniquement sur rendez-vous  ». On aurait dit que le site avait été créé une dizaine d’années auparavant et qu’il n’avait jamais été mis à jour.

Aucun avis, aucun réseau social, aucune autre photo… Lex commençait à se dire que le magasin n’existait peut-être même pas. L’offre d’emploi était-elle réelle, ou était-ce une sorte d’arnaque ?

Elle n’avait pas vraiment d’autres pistes, elle pouvait au moins se renseigner. Lex nota le numéro et le composa.

– Bonjour, vous êtes bien chez La Curieuse Librairie, répondit une voix. Ici Montgomery David. Cherchez-vous un livre en particulier ?

Lex ne s’attendait à ce qu’on lui réponde si rapidement, elle dut se racler la gorge avant de parler.

– Oui, euh… Je vous appelle concernant l’offre d’emploi, dit-elle. Vous cherchez toujours quelqu’un ?

Montgomery, qui Г©tait sans doute le propriГ©taire, grogna.

– Peut-être. Vous avez de la chance. J’étais sur le point de prendre une décision. Pouvez-vous venir pour quinze heures ?

Lex cligna des yeux.

– Vous ne voulez pas d’abord connaître mes qualifications ?

Montgomery resta silencieux si longtemps qu’elle ne savait pas s’il l’avait entendu.

– Quelle est votre date de naissance ?

Lex hГ©sita, pas certaine de savoir comment rГ©pondre. Voulait-il savoir si elle Г©tait trop jeune pour le poste ? Ou juste son anniversaire ?

– Le vingt-sept novembre, dit Lex.

Un autre long silence.

– Ah… une sagittaire. Eh bien… c’est le bon moment pour recruter.

Il ne dit rien pendant un long moment.

Lex était perplexe. De quoi parlait-il ? Était-ce une vraie offre ? Tout cela lui paraissait bien étrange. Elle allait raccrocher, lorsqu’il prit de nouveau la parole.

– D’accord, dit-il. Soyez là pour quinze heures.

Lex vérifia sa montre. Elle devrait se dépêcher de partir si elle voulait être à l’heure. Maintenant c’était elle qui hésitait. Était-ce réel ? De toute façon elle avait besoin de ce travail et ce n’était pas comme si son agenda était chargé. Et puis, son cœur s’emballa en pensant au salaire. C’était une sacrée somme.

– J’y serai.

– Très bien. À tout à l’heure. Oh, et n’allez pas vous promener dans les rayons et lire des livres avant que je ne vous trouve.

Elle Г©tait perplexe.

– Quoi ? Pourquoi ? demanda-t-elle, mais il avait déjà raccroché.

Le mystГ©rieux Montgomery, peu importe qui il Г©tait, semblait trГЁs, trГЁs Г©trange. Que signifiait cet avertissement sur les livres ?

Mais que pouvait-elle faire d’autre ? Rester assise ici à attendre que ses indemnités soient épuisées pendant qu’elle cherchait désespérément une autre librairie d’occasion qui voudrait d’elle ? Non, c’était une opportunité, et Lex allait la saisir.

Elle se leva de sa chaise et attrapa quelques vêtements qu’elle enfonça dans un sac au cas où elle en aurait besoin. Puis elle sortit en trombe sans prendre le temps de faire une pause, prenant juste une veste avant de claquer la porte derrière elle.

Le magasin était assez loin et elle avait déjà l’impression d’être en retard.




CHAPITRE CINQ


Lex ralentit alors que sa voiture dépassait un panneau de bois peint en blanc sur lequel était calligraphiée l’entrée d’Incanton. Alors que le bruit du moteur faiblissait, elle entendit les cloches de l’église sonner à proximité, lui indiquant qu’il était quatorze heures trente. Se précipiter ici dans la panique semblait avoir bien fonctionné. Elle avait facilement devancé l’heure d’arrivée estimée par le GPS et elle avait même du temps libre pour se calmer et faire un tour en ville.

Il y avait un parking près du rivage et elle conduisit dans cette direction en suivant les panneaux qui n’indiquaient que « CENTRE-VILLE » et « ROUTE CÔTIÈRE » comme possibles destinations. Les routes devinrent plus étroites tandis qu’elle s’approchait du parking. Elle remarqua des petites rues pavées et des bâtiments qui devaient être là depuis le débarquement des premiers colons.

Le parking, qui appartenait apparemment à la ville et qui desservait quelques magasins dans le centre, était à moitié vide. Lex se gara facilement, choisissant une place en plein centre, car elle en avait la possibilité. Elle sortit de sa voiture et observa les alentours, notant l’odeur de sel dans la brise. La mer était assez proche pour qu’elle l’aperçoive. Au bout de la rue, au-delà du parking, un éclat bleu sur l’horizon se fondait dans le ciel clair de la journée.

Elle sourit en regardant partout, se servant de sa main comme visière face au soleil de ce début d’été pour s’imprégner du paysage. Incanton était aussi petite et idyllique qu’elle l’avait vue en ligne. Plusieurs personnes s’affairaient dans les rues, entrant et sortant des magasins, ramenant chez eux des sacs remplis de leurs emplettes. C’était plus calme ici, et elle pouvait entendre le bruit des mouettes qui survolaient l’eau.

C’était peut-être simplement l’attrait de la nouveauté, mais tout avait l’air plus intéressant ici, même les gens. Elle les étudia tout en récupérant son sac sur le siège passager et ferma sa voiture. Elle jeta un œil par-dessus son épaule vers les gens qui flânaient. Deux femmes âgées parlaient avec animation, la tête haute malgré leurs coiffures volumineuses. Une mère poussait doucement un landau violet, sans doute vintage, qui avait été retapissé à en juger par le style. Elle agitait un hochet au-dessus du bébé avec un sourire d’adoration.

Lex observa un homme d’âge moyen qui portait un pull marinière en tricot flashy. Il émergeait d’un magasin qui portait l’enseigne : Antiquités Miss Teak. Il se situait juste à côté du barbier : Clash of Barbe. Chaque magasin ici était original et adorable, le parfait exemple d’un village américain typique. Comme si elle était arrivée sur le tournage d’une série télé et non dans la réalité. Elle s’attendait à moitié à voir Lorelai Gilmore apparaître au coin de la rue ou à se retrouver nez à nez avec un groupe de colons vêtus de leurs grands chapeaux et de leurs culottes.

Elle dépassa le parking pour se rendre sur la berge. Il y avait des bâtiments de couleurs le long de l’eau, les planches s’étaient un peu décolorées avec le soleil, mais ils gardaient leurs teintes joyeuses. Elle observa un vendeur de glaces et fut frappée par la même impression de déjà-vu qu’elle avait ressenti plus tôt.

Que se passait-il avec cet endroit ? Les mouettes tournant et criant au-dessus d’elle, le soleil, les glaces, les planches peintes. De quoi n’arrivait-elle pas à se souvenir… ?

Une vision de son père frappa Lex en plein cœur. Il portait un baggy et se penchait vers elle pour lui offrir la glace qu’il venait d’acheter. Elle se souvint d’elle-même, petite fille joyeuse, ressentant la froideur de la glace dans sa gorge, et protégeant son goûter de ses minuscules mains lorsque son père lui avait dit pour plaisanter que les mouettes arrivaient pour le lui voler.

Lex balaya la rue du regard dans son intégralité pour s’en imprégner. Oui, elle était déjà venue. Une fois, très longtemps auparavant, quand son père était encore là. Avant que ça ne tourne mal. Elle était tellement jeune qu’elle ne s’en était pas souvenue jusqu’à maintenant. Le souvenir était flou et quand elle essaya de forcer sa mémoire, il disparut tout simplement. Mais il était présent.

– Papa, soupira Lex, les larmes lui montant aux yeux sans avertissement.

Ça faisait du bien de repenser à lui, même si le souvenir était doux amer. Elle pensait à lui tous les jours. Alors découvrir un nouveau souvenir oublié était un moment spécial. Lex fit un pas en avant, se disant qu’elle pourrait acheter une glace en l’honneur du bon vieux temps…

– Ah… Oh… Pardon… Vous allez bien ?

Lex se redressa et secoua la tête. Au moment exact où elle avait avancé, une autre personne était apparue sur son chemin et ils étaient entrés en collision. Elle avait le souffle un peu coupé, mais heureusement elle n’était pas tombée. Le costume ajusté marron qu’elle avait choisi pour l'entretien n’aurait pas eu l’air aussi chic s’il était recouvert des saletés du trottoir.

– Je vais bien, dit-elle essoufflée. Pardon, c’était sûrement ma faute. Je ne regardais pas où j’allais.

– Moi non plus, répondit l’homme en souriant et en se palpant rapidement. Pas de dégât. Encore désolé. Vous êtes sûre que ça va ? Vous avez l’air étourdie.

Lex sourit rapidement essayant de corriger cette impression.

– Vraiment, ce n’est rien. J’étais juste perdue dans mes pensées.

Il devait avoir Г  peu prГЁs son Гўge, mГЄme si le sac Г  dos sur ses Г©paules le rajeunissait. Il plissa les yeux derriГЁre ses lunettes Г  monture dorГ©e, puis son sourire illumina tout son visage.

– Heureux de l’entendre, dit-il se détournant pour continuer sa route. Encore désolé !

Lex se surprit à rougir, embarrassée. Elle était tellement absorbée par ses pensées qu’elle était rentrée dans quelqu’un. Au moins, elle avait réussi à ne pas devenir écarlate avant qu’il ne soit parti. Elle vérifia sa montre et vit qu’il n’était que quatorze heures quarante, trop tôt pour se rendre chez La Curieuse Librairie puisque ce n’était qu’à quelques rues. Elle décida d’explorer encore un peu le bord de mer en regardant tous les magasins et ce qu’ils vendaient.

Elle aimait bien cet endroit, se dit-elle en pénétrant dans la première boutique qui était remplie de vêtements d’occasions de toutes les époques. Elle prit quelques instants pour parcourir les portants, touchant une robe en perles et en sequins par ci, un manteau de velours par là. Cette odeur de renfermé qui semblait toujours flotter autour des objets de seconde main emplissait l’air, la faisant sourire. Elle était excitée à l’idée de travailler de nouveau dans une librairie d’occasion. Même si elle essayait de se souvenir qu’il ne s’agissait que d’un entretien, elle ne pouvait s’empêcher de se réjouir. Les souvenirs de son enfance remontaient à la surface.

Lex quitta la friperie et fit quelques pas le long du trottoir, admirant le dessin d’une sirène peinte sur les planches décolorées par la météo du magasin suivant. Un coup d’œil par la fenêtre lui permit d’apercevoir un étalage d’appâts de pêche sophistiqués, ainsi que de grands filets et quelques cannes. Une femme qui avançait sur le trottoir dans sa direction lui fit un sourire en la dépassant et Lex lui sourit en retour. Le rythme était plus calme ici, pas aussi agité. Les gens ne se bousculaient pas sans respect et chaque entreprise avait l’air d’être indépendante. Lex ne put s’empêcher de comparer cet endroit à celui où elle vivait et travaillait, à la façon dont personne ne semblait avoir le temps de s’accorder un regard.

Le magasin suivant s’appelait Objets Trouvés près de la Mer. Regardant par la fenêtre, Lex ne put résister à l’envie d’y faire une petite visite.

Les présentoirs et étagères étaient remplis de toutes sortes de curiosités ; du bois flotté sculpté dans d’étranges formes puis creusé pour servir de pots à crayons, de porte-manteaux ou de presse-papiers. Il y avait des cailloux polis par la houle et sertis de décorations et d’inscriptions, des bocaux remplis de sable coloré réparti artistiquement en différentes couches.

Lex vit une assiette en verre avec un paysage créé à l’aide de sable blanc et noir, à côté se trouvait un message parfaitement calligraphié qui disait « retournez-moi ». Intriguée, elle la souleva et la reposa dans l’autre sens. Elle observa émerveillée le sable retombé à travers un liquide pour créer un nouveau paysage.

– On dirait de la magie, n'est-ce pas ?

Lex se retourna et vit qu’un homme la regardait avec une expression amusée. Il était plus petit et plus vieux qu’elle avec une épaisse chevelure et barbe d’une teinte rousse qui tendait maintenant vers le gris. D’épaisses lunettes étaient posées sur le bout de son nez et on pouvait apercevoir une légère bedaine sous le gilet vert qu’il portait.

– C’est très spécial, acquiesça-t-elle, reportant son attention sur les derniers grains qui retombaient. Je suppose que la viscosité du liquide permet au sable de bouger plus lentement pour créer ces couches.

Le vendeur rit doucement.

– Ah… un esprit logique, dit-il. On ne vous la fait pas à vous ?

Lex sourit.

– J’aime savoir comment les choses fonctionnent, dit-elle.

Elle fut frappée par le fait que l’homme était amical, calme et accueillant. Il n’essayait pas de lui vendre quelque chose à tout prix. C’était rafraîchissant. En ville, les chaînes de magasins ne pensaient qu’aux ventes.

– Eh bien, vous seriez peut-être curieuse de voir nos ateliers, dit-il. Ses yeux étaient grands ouverts derrière ses verres. Il lui indiqua une affiche collée sur la fenêtre. Ils se tiennent le dernier vendredi de chaque mois. Ils sont gratuits et vous pourrez me voir transformer certains trésors de la mer pour qu’ils deviennent les objets que vous voyez ici.

– Ça a l’air super, dit Lex. Je passerai peut-être si je suis dans le coin.

– Vous venez voir un ami ? demanda le vendeur.

Il retourna Г  son comptoir, derriГЁre une vieille caisse enregistreuse. Le magasin Г©tait assez petit pour que Lex puisse continuer de converser avec lui.

– En fait je suis ici pour un entretien d’embauche, dit-elle en regardant sa montre. Oh non… je… je dois y être dans quelques minutes. Je ferai mieux de me dépêcher !

– Bonne chance mademoiselle ! lui cria le vendeur alors qu’elle courait vers la porte. Elle lui lança un sourire de remerciement par-dessus son épaule tandis que la cloche située au-dessus de la porte d’entrée annonçait son départ.




CHAPITRE SIX


Lex se dépêcha de descendre la rue jusqu’aux quais puis de tourner pour rejoindre le parking. Elle retrouva rapidement ses marques, vérifia la carte sur son téléphone puis se dirigea dans un dédale de rues pavées, toutes plus étroites les unes que les autres. Elle essayait de trouver le bon équilibre entre être à l’heure et ne pas arriver complètement en sueur.

Elle s’arrêta, observant les alentours, confuse et vérifia sa carte qui indiquait que le magasin se trouvait exactement devant elle. Où était-il ? Elle ne voyait pas la façade qu’elle avait repérée sur Internet et la plupart des bâtiments avaient l’air plus résidentiels que commerciaux.

– Vous êtes perdue, mademoiselle ? déclara une voix cassée derrière elle.

Lex se retourna, paniquée puis baissa les yeux. Une petite dame d’un certain âge se tenait là et l’observait la tête en l’air.

– Euh… Je pense que oui, répondit Lex. Je cherche La Curieuse Librairie.

– Vous êtes sûre ? demanda la femme avec méfiance. Vous n’avez pas l’air de l’une de leurs clientes. Vous avez le bon magasin ?

Lex cligna des yeux.

– Ou… oui, j’en suis sûre.

À quoi était censé ressembler un client de La Curieuse Librairie ? Était-ce une bonne ou une mauvaise chose qu’elle n’en ait pas « l’air » ?

– Passez par là, dit la femme en levant le bras pour lui indiquer la rue suivante. Vous êtes presque arrivée.

– Merci ! lança Lex par-dessus son épaule.

Tout en se dépêchant, elle se fit la réflexion qu’elle aimait de plus en plus les gens d’ici.

Le magasin apparut devant elle dès qu’elle tourna. Une copie conforme aux photographies trouvées sur le net. Ses briques contrastaient avec les boiseries des encadrements de fenêtres et l’immense porte en bois. Le nom de l’enseigne écrit en lettres de cuivre avaient verdi avec les années.

Lex inspira profondément pour calmer ses nerfs. Elle espérait ne pas être en sueur ou débraillée après sa course folle à travers les rues. Elle commença à examiner son reflet dans l’une des fenêtres avant de se rendre compte qu’elle pouvait être vue par les personnes qui étaient à l’intérieur. Elle préféra s’approcher de la porte.

L’encadrement était abimé et écaillé, encore un signe de l’histoire et de la personnalité du bâtiment. Ces marques étaient anciennes et les mains qui les avaient créées n’étaient sûrement plus de ce monde. Lex tendit la main vers la poignée et en profita pour regarder sa montre. Elle vit avec horreur qu’elle avait déjà quelques minutes de retard et ouvrit la porte en grand pour entrer.

Au-dessus de sa tête, un doux tintement retentit pour annoncer son entrée, plus discret que celui de la boutique Objets Trouvés près de la Mer. Il y avait un paillasson défraîchi au sol et elle s’essuya instinctivement les pieds, ne voulant pas laisser entrer de saletés. Son cœur battait la chamade, tandis qu’elle cherchait des yeux l’homme qui était censé la recevoir.

Elle s’attendait à entrer dans une librairie, mais ce qu’elle vit la surprit : un long couloir s’étendait devant elle vers le fond du bâtiment. Le parquet était ancien et déformé, il n’était pas recouvert de moquettes ou de tapis, ce qui donnait l’impression que la surface se gonflait et roulait comme la mer.

L’étroit couloir était décoré de chaque côté par des cadres et entre eux se trouvaient des encadrements de porte, immenses et ouverts, sans rien à l’intérieur. De quel côté devait-elle se diriger ? Il n’y avait aucun panneau, aucune indication de l’endroit où pouvait se trouver le propriétaire. Avançant doucement, Lex jeta un œil à travers la première ouverture pour voir des étagères superposées, remplies aléatoirement de vieux livres, certains tellement anciens que leurs tranches s’effritaient. Le plafond était bas et semblait s’enfoncer au milieu de la pièce, comme s’il supportait trop de poids. Un tapis à motif rouge était étendu sur le sol, il montrait des traces d’usures le long des plaintes.

Au moins, il y avait des livres, ce qui signifiait qu’elle était bien au bon endroit. Mais il n’y avait pas de comptoir, personne en vue et Lex n’avait aucune idée du type de livres qu’elle voyait. La plupart d’entre eux n’avaient carrément plus de titre et les autres n’étaient presque plus lisibles. Elle s’approcha et en toucha délicatement un, se demanda quel genre de texte renfermait la couverture.

Quelque chose s’empara de son cœur, une sorte d’aura. La façon dont les livres étaient posés sur les étagères était à la fois familier et réconfortant. Lex fut presque embarrassée de sentir des larmes perler au coin de ses yeux. C’était comme si son père se trouvait juste derrière elle, et qu’il regardait par-dessus son épaule. Ce bois… n’était-ce pas le même genre d’étagère qu’il utilisait dans son magasin ?

Lex s’arracha aux livres étrangement nus et regarda par l’ouverture de l’autre côté de la pièce. Elle commençait à croire que ce bâtiment était autrefois une maison, les pièces étant séparées selon l’usage. Peut-être un petit salon et ici, dans la pièce suivante un espace ouvert, plus grand. Pour diner ou recevoir des visiteurs. Mais plus important, c’était dans cette pièce que se trouvait le comptoir, et Lex s’en approcha, soulagée.

Il n’y avait personne derrière. Elle observa ce nouvel espace. La lumière affluait par les fenêtres qui lui avaient paru sombres et minuscules de l’extérieur, diffusant les rayons du soleil qui s’accrochaient à la poussière flottant dans l’air. Lex dut reprendre son souffle lorsqu’elle vit la caisse enregistreuse. Elle n’en était pas certaine, mais de derrière, ne ressemblait-elle pas exactement à celle que son père avait utilisée toutes ces années auparavant ?

Elle s’imagina devant celle-ci, parlant joyeusement avec un client qui cherchait des recommandations et qui ressortirait sans nul doute avec son nouveau roman favori. Oui, elle pouvait s’y voir. Elle voulait ce travail. Elle le voulait beaucoup plus que retourner dans son ridicule bureau de Boston. Ce serait tellement mieux.

Le sol n’était pas droit, trop vieux, le parquet tordu recouvert d’un autre tapis dans ce grand espace. Ce tapis était plus complexe, rempli d’images de renards chassant des lapins, de cavaliers chassant des renards. On pouvait également observer d’autres créatures, comme des licornes, des ours, des loups, tous se faufilaient dans un enchevêtrement de troncs d’arbres. Le motif formait des lignes droites le long des bords du tapis. Au centre des lignes abstraites tourbillonnaient et semblaient représenter les épines d’un buisson. L’ensemble était fascinant, comme s’il avait été récupéré chez son arrière-grand-mère avant sa mort et posé là pour accueillir les clients. Lex ne pouvait s’empêcher de le fixer, envoutée par le motif, ses yeux suivant toutes les arabesques et les épines.

Il y avait une vieille sonnette sur le comptoir. Lex la frappa après un moment d’hésitation. Elle fit un tintement plaisant mais son volume la fit légèrement grimacer. Cette pièce était mieux organisée. Les livres sur les étagères étaient en meilleur état et deux tables en travers de l’espace central étaient classées par genre. L’une d’elles avait une pancarte annonçant « Exposition d’auteurs locaux » tandis que l’autre présentait « Les livres sur le Massachusetts ». Lex pencha la tête pour déchiffrer quelques titres sur les étagères : Les Haies de Grande-Bretagne : Conte de Vagabond, Les histoires des Dix-sept Nouvelles Colonies, Six herbes aromatiques essentielles et leurs utilisations.

De quel type de magasin s’agissait-il exactement ? Quelle était sa spécialité ? Était-ce des faits ou des fictions, de l’histoire ou des guides ? Lex se retourna et observa l’étagère sur l’autre mur : Se battre avec des Idiots, 100 Raisons d’adopter un chat, Les Rituels et Pratiques du Moyen-Orient. Y avait-il une quelconque organisation ? Si c’était le cas, elle ne la voyait pas.

– Ah !

Un homme émergea derrière le comptoir, tête baissée. Il devait sortir de l’escalier qui se trouvait derrière lui et il la regarda en souriant.

– Vous devez être…

– Alexis Blair, termina Lex.

– Mon entretien, acquiesça-t-il.

Lex essayait de deviner son âge, sans doute plus vieux que ne l’aurait été son père. Ses cheveux parfaitement plaqués étaient gris et il était rasé de près.

– Bien, bien, j’étais à l’étage et je ne vous ai pas entendu entrer.

– Je me suis un peu égarée en chemin, dit Lex se fustigeant immédiatement.

Pourquoi s’excusait-elle de son retard alors qu’il ne l’avait pas remarqué ?

– Quelqu’un a été assez gentil de m’indiquer le chemin. Vous devez être Montgomery ?

– C’est bien ça, exactement. Vous avez visité un peu ? demanda-t-il.

Il avait l’air content qu’elle ait reçu de l’aide ou peut-être qu’elle ait deviné son identité. Lex n’était pas sûre.

C’était un personnage étrange. Tout comme le propriétaire d’Objets Trouvés près de la Mer, Montgomery portait un gilet cintré, d’une teinte de marron assez semblable à celle du costume de Lex, parfaitement assorti à un nœud papillon de la même matière. On pouvait aussi apercevoir sous son gilet une chemise blanche recouverte de petits canards, que Lex pouvait clairement discerner maintenant qu’il s’était approché.

– Pas encore, admit-elle. J’ai jeté un œil dans la pièce de l’autre côté du hall.

Ce qu’elle avait vu lui avait suffi, cet endroit était merveilleux. Si elle travaillait ici, elle obtiendrait toute l’expérience dont elle avait besoin. De plus, cela remplirait un manque qu’elle n’avait jusque-là pas remarqué. Le besoin d’être connecté avec son père qui semblait se dégager de tous les recoins de ce bâtiment.

– Suivez-moi, allez, suivez-moi, dit Montgomery lui faisant signe de le rejoindre derrière le comptoir. Nous devons commencer.

Au dos de son gilet se trouvait une étiquette parfaitement placée indiquant $3.99. Lex supposa qu’elle s’était décollée de l’un des livres et accrochée à ses vêtements. Elle résista à l’envie de l’attraper pour la décoller de peur qu’il ne la surprenne.

Lex sentit son pouls s’accélérer à ses mots, alors qu’elle passait derrière le comptoir. C’était la partie de l’entretien qu’elle redoutait. Non pas qu’elle ne sache pas s’exprimer, ou qu’elle ne pense pas être assez qualifiée pour ce travail. C’était juste qu’elle n’arrivait pas à se faire apprécier des gens facilement, du moins pas lors d’une brève conversation.

Elle essaya tout de même de se calmer, s’efforçant à sourire et à renvoyer une expression avenante avant de suivre Montgomery. Il attendit qu’elle le rejoigne, lui indiquant un escalier étroit qui n’avait pas l’air très sûr.

– Par ici, par ici, dit-il. Nous allons monter. Vous pourrez voir la…

Lex vit sa résolution de ne plus finir ses phrases s’envoler devant le silence qui s’étirait. C’était extrêmement gênant de le voir l’observer la tête légèrement inclinée alors qu’elle attendait bêtement.

– Salle des livres rares ? tenta-t-elle au hasard.

– Salle de pause, termina Montgomery. Il lui lança un regard suspicieux, puis se tourna pour poursuivre son ascension.

Lex réfléchit très sérieusement à la possibilité de s’enfuir par la porte d’entrée pendant qu’il avait le dos tourné. Maintenant, il devait croire qu’elle était ici pour un cambriolage ! Pourquoi avait-elle dit ça ? Elle ravala son humiliation et le suivit essayant de garder son calme. Elle adorait déjà cet endroit, les vieilles pièces, l’odeur des livres, la petite bourgade. Ça lui rappelait tellement son père et elle s’était déjà attachée au peu qu’elle avait vu.

La salle où Montgomery la conduisit se trouva être bien plus cosy qu’elle ne s’y attendait. Il y avait une petite cheminée qui était pour le moment inutile au vu des températures estivales, et quelques fauteuils moelleux aux imprimés floraux placés autour. Une table basse toute proche était remplie de feuilles et de carnet, des factures pour la plupart et la pièce était éclairée par une lampe antique dont la vraie flamme renvoyait des ombres sur les murs. De grosses poutres sombres contrastaient avec les murs en plâtre blanc et la fenêtre était recouverte de ce qui ressemblait à des tapis qui rappelaient celui posé au sol du rez-de-chaussée devant le comptoir. La fenêtre était presque entièrement obstruée, laissant la pièce assombrie avec pour seul éclairage la lumière jaune des lampes qui projetait d’étranges ombres.

Montgomery prit place dans l’un des fauteuils aux coussins usés tandis que Lex prit place dans l’autre. Ils étaient étonnamment confortables, au point de donner à Lex l’envie de faire un somme. C’était peut-être à cause de sa course pour arriver ici à l’heure, associée à la chaleur extérieure et l’ambiance cosy. Il y avait une théière fumante sur une petite table. Montgomery en servit deux tasses sans demander et en tendit une à Lex.

Il y avait une imposante porte de l’autre côté de la pièce, tellement grande qu’elle dominait l’espace. Lex ne pouvait s'empêcher d’être fascinée. La porte semblait entièrement faite en métal lourd et sa surface était marquée d’étranges symboles runiques longs et pointus. Que pouvait-il bien y avoir derrière ce genre de porte ?

– Alexis, c’est bien ça ?

Lex revint à la réalité, acquiesçant rapidement. Elle ne devait pas oublier qu’elle essayait de faire bonne impression.

– C’est ça.

Montgomery parcourut un petit carnet jusqu’à trouver une page vide. Il sortit un stylo de son gilet et en lécha la pointe avant de faire une pause. Il tenait le stylo au-dessus du papier en la regardant.

– Vous m’avez dit avoir de l’expérience dans l’édition ?

– Oui, répondit Lex passant en mode professionnel. J’ai travaillé aux éditions Enlivrez-Vous comme éditrice de documentaires. La seule éditrice de documentaires. J’ai démissionné, car ils ont fermé mon département.

– Et là-bas vous dialoguiez directement avec les auteurs ? Avec les magasins ? Montgomery l’observait attentivement, mais il n’avait encore rien noté.

– Oui, avec les deux, dit Lex. Je faisais la liaison avec les auteurs dès lors qu’ils nous soumettaient un manuscrit et jusqu’au produit final. Nous étudiions également les résultats des ventes pour décider de futures acquisitions.

Montgomery acquiesça pensivement.

– Avez-vous déjà eu à vous occuper d’une mystérieuse maladie ?

Lex cligna des yeux. Qu’entendait-il par là ?

– Eh bien… J’ai travaillé avec du personnel médical, dit-elle. Mon dernier titre est L’endocrine déchiffrée. Il est sur le point de sortir, d’ici la fin du mois.

Montgomery gribouilla quelques traits dans son carnet. C’était ça qu’il choisissait de noter ? Lex avait du mal à garder son sang-froid. Il n’avait pas du tout l’air impressionné par son expérience.

– Avez-vous déjà travaillé dans une librairie ? demanda-t-il.

– Oui ! répondit Lex contente qu’il aborde le sujet. Enfin non. Enfin… mon père était autrefois gérant d’une librairie un peu comme celle-ci. En grandissant, je l’aidais dans la boutique. Déballer les livres, les mettre sur les étagères, m’occuper des clients. Un peu de tout en fait.

Montgomery grogna.

– Je ne pense pas que son magasin rassemblait à celui-ci, dit-il. Lex dut boire une gorgée de son thé pour masquer son embarras. Le travail vous plaisait ?

– Oh oui, approuva Lex en essayant d’ignorer le goût étrange du thé.

Qu’est-ce que c’était ? Une sorte de mélange d’herbes ?

– Ça a fait naître en moi un amour profond pour les livres. C’est pour cela que ma carrière a pris ce chemin et c’est pour cela que je suis ici aujourd’hui, ajouta-t-elle.

Montgomery sourit légèrement, une étincelle s’allumant dans ses yeux.

– Diriez-vous que c’est votre intuition qui vous a guidée ici ?

Lex faillit laisser tomber sa tasse. Elle ne s’attendait pas à une question de ce type.

– Oh…, dit-elle, incertaine sur la façon de répondre et essayant de gagner du temps. Euh… Je ne sais pas si c’est de l’intuition. J’ai remarqué le numéro de rue du magasin, le trente-six… qui est le même que celui de l’ancien magasin de mon père.

– Diriez-vous que vous vous servez souvent de votre intuition ? demanda Montgomery le regard fixé sur elle.

– Je… ne sais pas, admit Lex.

Comment devait-elle répondre ? Attendait-il qu’elle dise oui pour la féliciter ou préférait-il quelqu’un de plus logique ? Elle n’arrivait pas à le déchiffrer.

– Hmm. Montgomery nota autre chose, cette fois avec des mouvements courts et secs sur son papier. Il est important que vous sachiez que le magasin a des clients très importants, des gens viennent de loin pour nous rendre visite. Nous sommes spécialisés dans les livres rares, parfois nous sommes en possession de la seule copie disponible au grand public. Nous recevons toutes sortes de clients : des collectionneurs, des chercheurs, des fans, oui, oui. Êtes-vous à l’aise avec le fait de servir des individus de différents milieux ?

– Bien sûr, approuva rapidement Lex. Ça ne me pose aucun problème.

– Et avez-vous de l’expérience pour gérer les clients qui ont…

Montgomery s’égara, mais grimaça de manière déplaisante. Lex tenta une proposition.

– Des plaintes ? suggéra-t-elle, considérant que c’était une question typique dans un entretien.

– Une autre façon de voir le monde, termina Montgomery.

Il lui lança un regard hautain et critique de derrière ses lunettes. Ça semblait être sa réaction dès qu’elle ne devinait pas la suite de sa phrase.

– Euh, répondit Lex essayant désespérément de comprendre ce qu’il entendait par là.

Elle décida qu’il devait parler de son cursus scolaire, qui était la seule chose qu’elle arrivait à lier à ses paroles.

– J’ai fait espagnol au lycée. Je dois toujours pouvoir tenir une conversation. Je peux gérer différentes cultures et si besoin m’adapter.

Montgomery rajouta quelques notes en pattes de mouche sur son carnet. Lex essaya de les déchiffrer, mais dans ce sens, elle ne pouvait même pas affirmer qu’il avait utilisé l’alphabet latin.

– Donc je suppose que vous ne savez pas lire les hiéroglyphes ?

– Non, répondit Lex, surprise. Je pensais que mon temps serait mieux utilisé dans l’apprentissage d’une langue qui n’était pas morte.

– Pas de Latin, d’Énochien ou de Malachim ? Nous conservons quelques reproductions de textes d’anciennes civilisations, ajouta Montgomery. Il secoua la tête devant son regard ébahi et prit de nouvelles notes. Très bien, très bien. Une dernière chose. Avez-vous des compétences particulières à apporter à ce poste ?

– J’ai une grande compréhension de la classification Dewey, dit Lex, cherchant ce qu’elle avait appris dans son passé qui pourrait lui resservir ici. Je connais aussi beaucoup de statistiques pour fixer le prix des livres, les comportements des acheteurs et les stratégies de ventes.

Montgomery acquiesça, mais ne nota rien dans son carnet. Il replaça son nœud papillon d’un drôle de petit geste puis se redressa en rangeant son calepin.

– Mademoiselle Blair, dit-il. Je vais être honnête. Notre établissement a une certaine réputation que nous devons honorer. Vous êtes très logique et pragmatique.

Lex sentit son cœur s’envoler dans sa poitrine, battant à cent à l’heure devant ses compliments.

– Cela jouerait en votre faveur autre part, mais ici nous avons besoin d’une personne ouverte d’esprit. Je vous remercie du temps que vous avez pris pour venir me rencontrer, mais j’ai bien peur de ne pas pouvoir vous proposer ce poste.

Lex avait maintenant le cœur lourd, elle était nauséeuse et déçue.

– Je vois, dit-elle, difficilement.

Ce n’était pas normal. N’avait-il pas remarqué que ce poste était fait pour elle ? Elle avait besoin de cet argent et de cette expérience. Ici, ces deux choses étaient parfaitement rassemblées, qui plus est dans un magasin qui l’attirait. Elle s’imagina son père, sa déception s’il avait été là pour voir son échec. Puis sa mère, qui attendait impatiemment de ses nouvelles et qui s’attendait à ce qu’elle revienne la supplier de l’aider. Elle ne pouvait pas abandonner aussi facilement.

– Je ne peux vraiment rien faire pour vous faire changer d’avis ? demanda-t-elle espérant avoir une autre chance.

– Non, j’en ai bien peur, répondit Montgomery. Il avait les mains posées sur ses genoux, droites et guindées. J’ai entendu ce dont j’avais besoin. Je suis vraiment désolé. Vous ne correspondez pas.

Lex se dit qu’elle ne pouvait pas tomber plus bas qu’en cet instant. Ses pieds étaient de plomb et son cœur si lourd qu’il était sur le point de tomber à travers la chaise. Ses yeux clignaient obstinément pour retenir la moindre larme qui trahirait à quel point elle était déçue. Retour à la case départ. Elle allait devoir trouver un autre moyen de suivre son rêve.

La décision était tellement absolue qu’elle n’avait rien d’autre à faire que de partir.  Soudain, Lex fut envahie par l’urgence de s’en aller. Elle ne pouvait penser à rien d’autre que de s’éjecter de cette chaise, se précipiter hors du magasin et retourner à sa voiture pour rentrer chez elle.

Mais alors qu’elle était sur le point de partir, quelque chose sortit de l’obscurité derrière le fauteuil où elle était assise. Cette chose atterrit sur ses genoux provoquant une décharge de peur qui lui parcourut tout le corps.




CHAPITRE SEPT


Lex fut tellement surprise qu’elle en oublia de crier. Après le choc initial et la dose d’adrénaline qui avait fait bondir son cœur, elle retrouva assez ses esprits. Pour découvrir que la chose qui lui avait sauté dessus était noire, poilue et en train de lui… lécher la main ?

Elle frissonna de soulagement en comprenant que la créature mystérieuse et effrayante n’était autre qu’un chat noir. Il lui lécha la main en silence puis chercha la position la plus confortable sur ses genoux avant de se coucher, sa queue parfaitement enroulée autour de lui.

Lex se figea, incertaine sur la marche à suivre. Elle était quelques instants plus tôt déterminée à se lever et partir immédiatement, mais maintenant qu’il y avait une boule de poils bien chaude sur ses genoux, elle ne savait plus quoi faire. Ce serait sûrement très mal vu de se lever et de poser le chat par terre.

Montgomery la chasserait sans doute du magasin, sans parler du fait qu’elle ne connaissait pas ce chat, et ne savait pas s’il aimait utiliser ses griffes.

Alors elle ne fit rien, hГ©sitant tandis que le chat posait sa tГЄte sur ses pattes avec un ronronnement de satisfaction.

– Elle vous aime bien, dit Montgomery d’un ton surpris.

Lex s’efforça de trouver quelque chose à dire.

– C’est… euh, votre chat ? demanda-t-elle.

Elle réalisa trop tard que c’était une question stupide. Quelle autre raison aurait ce chat d’être dans les pièces privées au-dessus de la boutique ?

– Elle vit ici, répondit Montgomery.

Ce n’était pas vraiment une réponse. Il observait le chat complètement abasourdi, et lorsqu’il reprit suffisamment ses esprits pour croiser le regard de Lex, quelque chose dans son expression avait changé.

– Eh bien, je suppose que c’est un signe de bon augure. Je crois que je vais vous donner une chance.

– Pardon ? s’écria Lex qui n’était pas sûre d’avoir bien compris.

– Je vous offre le poste, si vous le voulez, dit Montgomery.

Il hésita avant d’ajouter :

– À l’essai bien entendu.

Le regard de Lex passa de lui au chat endormi. Il lui offrait le poste juste parce qu’un chat l’appréciait ? Ça paraissait complètement irrationnel, mais elle n’allait pas faire la fine bouche. Son esprit était en ébullition après ces montagnes russes émotionnelles. Elle était passée de nerveuse à confiante, avant d’être anéantie, pour finir dans la joie. Elle avait le poste.

– J’accepte, dit-elle immédiatement. Elle n’envisageait pas d’autre option. Merci !

– Disons donc que vous commencez dans deux jours ? demanda Montgomery.

Lex acquiesça avec joie.

– C’est parfait. Merci, dit-elle de nouveau, puis elle hésita.

Le chat dormait toujours profondГ©ment sur ses genoux et elle avait toujours le mГЄme problГЁme : elle ne voulait pas le dГ©ranger.

– Euh… Concernant le…

Montgomery suivit son regard et se dépêcha de l’aider en comprenant son message.

– Oh, oui, oui ! Je vais la prendre, ne vous inquiétez pas. Viens là…

Il s’approcha et récupéra habilement le chat d’un seul mouvement, puis se rassit pour déposer le félin ronronnant sur ses propres genoux.

Lex regarda son pantalon qui Г©tait maintenant recouvert de petits poils noirs. Elle essaya de les balayer aussi discrГЁtement que possible en se relevant. Elle tendit sa main Г  Montgomery.

– Alors, on se voit dans deux jours, dit-elle contente d’avoir retrouvé sa liberté de mouvement.

– Oui, oui, approuva Montgomery. Je devrais peut-être vous faire visiter le reste du magasin maintenant, en préparation ?

– Bien sûr, dit Lex avec une pointe d’excitation.

C’était bien réel. Elle avait hâte de découvrir le reste de cet endroit, adorant déjà le peu qu’elle avait vu.

– Alors, vous avez déjà vu le comptoir avec notre sélection de livres locaux et les tendances, dit Montgomery en la guidant en bas des escaliers. De l’autre côté, c’est la pièce de Navigation. C’est là que nous gardons nos, euh…

– Guide maritime ? devina Lex.

Montgomery lui lança un regard confus.

– Les classiques mal-aimés, dit-il. Les volumes les moins chers, car ils ont eu une vie plus difficile, bénis soient-ils. Vous devez y faire particulièrement attention. Il y en a certains que je vous recommande de ne pas lire du tout.

Lex acquiesça prétendant comprendre cette logique, et essaya de sourire comme si c’était une plaisanterie. Elle se sermonna d’arrêter de vouloir finir ses phrases, du moins jusqu’à ce qu’elle le cerne un peu mieux.

C’était la deuxième fois qu’il l’avertissait de ne pas lire certains livres, que voulait-il dire ? Elle n’eut pas le temps de demander, car il la guidait déjà plus loin.

De ce côté-ci se trouvent nos archives de fictions, dit Montgomery. Il se mit face à une salle qui menait derrière la zone du comptoir. Elle était aussi longue que les autres, légèrement plus étroite, mais les moindres recoins étaient remplis de livres de toutes formes et tailles. Livres de poche, couvertures rigides, collections complètes, ils étaient tous alignés dans l’ordre alphabétique, le long des quatre murs sur des étagères surchargées, mais également au centre sur des tables bancales. L’envie de tendre la main et de les toucher démangeait Lex. Elle voulait voir leurs titres et examiner leurs couvertures.

– La plupart de ces volumes sont un peu plus spéciaux. Des impressions rares par exemple ou des premières éditions. Pas vraiment de valeur, mais assez bien pour les clients lambda.

Lex acquiesça. C’était logique. Les plus précieux devaient être stockés dans un endroit sûr, supposa-t-elle, peut-être derrière la grande porte de la salle de pause. Ses yeux parcoururent les étagères, plus poussiéreuses et sombres ici sans l’afflux de lumière naturelle. Il y avait à la place quelques lampes hasardeusement placées qui offraient juste assez de lumière pour y voir clair. Elle plissa les yeux vers le titre le plus près d’elle… Qu’est-ce que c’était ? Un livre sur les alunissages… dans la section des fictions… ?




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